DOSSIER DU VENDREDI – En juillet dernier, un tribunal de haute instance a condamné l'État namibien pour la stérilisation forcée de trois femmes porteuses du VIH. En Ouzbékistan, les autorités continuent à nier les cas dénoncés. L’AWID analyse la situation de stérilisation forcée dans ces deux pays et leurs implications pour les droits reproductifs des femmes.
Par Ani Colekessian*
La stérilisation peut constituer une option de planification familiale efficace pour de nombreuses femmes mais, lorsqu'elle est réalisée sans leur consentement préalable et informé, elle se transforme en grave violation des droits humains des femmes, notamment de leur santé et leurs droits en matière de sexualité et de reproduction (SRHR). Le résultat de la session 2012 de la Commission de la condition de la femme (CSW56) sur les SRHR durant laquelle les pressions fondamentalistes ont bloqué les Conclusions convenues et, plus récemment, la 46ème session de la Commission sur la population et le développement(CPD46) où le langage relatif aux SRHR a été nettement édulcoré, illustrent le type de contraintes qui continuent à freiner l'accès universel des femmes, et en particulier les jeunes femmes, aux SRHR. Le mouvement des femmes s'efforce de préserver les accords existants à propos de ces droits, mais il est important de faire très attention aux politiques et aux pratiques qui leur portent atteinte.
La stérilisation forcée, qui est une méthode de planification familiale coercitive impliquant l'extirpation chirurgicale ou l'annulation des organes reproductifs sans un consentement absolu ou informé, est une violation flagrante de l'intégrité et de l'autonomie du corps féminin. Selon Radhika Coomaraswamy, ancienne Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence à l'égard des femmes, « la stérilisation forcée est une méthode de contrôle médical imposée aux femmes qui viole l'intégrité et la sécurité physiques des femmes ; la stérilisation forcée représente une violence à l'égard des femmes ».
Soumettre le corps d'une femme à des manipulations contre sa volonté lui enlève toute possibilité de faire des choix sur son propre corps, y compris le nombre d'enfants qu'elle veut avoir, et constitue une violation des droits fondamentaux, y compris le droit à la santé, qui sont censés être protégés par des traités et des instruments internationaux, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. (Article 7) ; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à 1’égard des femmes (Articles 10h, 12, 16e, Gen. Rec. 19) ; et la Déclaration et le Programme d’Action de Beijing(Femmes et Santé par., 94), Dans le contexte d’attaques systématiques ou généralisées, le Statut de Rome définit la stérilisation forcée comme crime contre l'humanité.
Les pratiques discriminatrices sont au cœur de la stérilisation forcée ; elles sont souvent appliquées aux jeunes femmes qui vivent avec le VIH et le SIDA, aux femmes non conformes en matière de genre, aux jeunes femmes et aux filles présentant des handicaps et aux femmes autochtones (entre autres), qui sont souvent obligées d’accepter la stérilisation et d’autres procédures. En Ouzbékistan, la régulation démographique risque d'obliger un grand nombre de femmes à subir une stérilisation et en Namibie, il existe une discrimination contre les femmes porteuses du VIH et du SIDA qui sont soumises à la stérilisation forcée.
Ouzbékistan : Régulation démographique
Malgré les rapports des médias et les inquiétudes exprimées au sein du Comité des Nations Unies contre la torture, les autorités ouzbeks continuent de nier la réalité des stérilisations forcées dans leur pays. Avant l’enquête de deux mois récemment menée par la BBC et Radio 4, très peu de rapports avaient été présentés sur ces abus des droits humains. Dans un environnement politique où la dissidence est interdite,[i] les entrevues auprès des femmes concernées, des médecins et des fonctionnaires du ministère de la santé sont rares et généralement anonymes.
Les cas dénoncés indiquent que la procédure chirurgicale est souvent pratiquée durant l'accouchement. Plusieurs médecins ont reconnu une hausse récente des césariennes. Un chirurgien en chef estime que celles-ci sont appliquées dans pratiquement 80 % des cas, ce qui, ajoute-t-il, facilite énormément la stérilisation en nouant les trompes de Fallope. Un autre médecin fait spécifiquement référence à la « norme 1098[ii]… selon laquelle après deux enfants, et dans certaines régions après trois, toute femme doit être stérilisée. »
On estime que la stérilisation forcée en Ouzbékistan est pratiquée dans le cadre d'un programme de régulation démographique. S'agissant du plus grand pays d'Asie centrale avec presque 30 millions d'habitants et considérant que le gouvernement ouzbek a déjà fait des tentatives pour réguler les naissances, notamment en établissant des quotas que les médecins sont obligés de respecter pour faire baisser le taux élevé de fertilité[iii], cette théorie n'est pas improbable. Selon un gynécologue de Tashkent interviewé par la BBC, “chaque médecin reçoit des instructions sur le nombre de femmes auxquelles nous somme censés fournir une contraception, ainsi que sur le nombre de femmes nous sommes censés stériliser… Un quota est fixé. Mon quota est de quatre femmes par mois. »
On observe également une tendance préoccupante à la manipulation du langage de la planification familiale et des droits reproductifs qui va à l'encontre des principes mêmes que ceux-ci représentent. Les SRHR impliquent un choix sexuel et reproductif, sans violence ni coercition ; le programme ouzbek d’Amélioration des services de santé la mère et de l'enfant, une initiative menée conjointement avec l'Unicef et l'Union européenne, qui cherche à « améliorer la qualité des soins fournis aux mères et aux enfants, ainsi qu'à promouvoir les pratiques saines au sein des familles et des communautés, » dans la pratique, semble avoir eu l'effet contraire. Pour atteindre les objectifs fixés en matière de santé reproductive, le gouvernement semble avoir prôné une solution miracle qui consiste en fait à abuser des corps et de l'autonomie des femmes pour « protéger » la santé maternelle. « La formule est simple : moins les femmes accouchent, moins elles meurent », affirme un chirurgien dans le rapport de la BBC. Le gouvernement de l’Ouzbékistan rate absolument sa cible, alors qu'il aurait pu soutenir les véritables SHRH en tant qu'option plus durable et fondée sur des droits en favorisant l'accès au service de l'information, y compris l'accès à ces différentes options de planification familiale.
Namibie:Taux élevés de VIH et de SIDA
En Namibie, pays caractérisé par une forte prévalence de cas de VIH et de SIDA , la décision du tribunal de grande instance de condamner l'État pour la stérilisation forcée de trois femmes porteuses du VIH n'est qu'un tout petit pas sur la voie de la justice. Le gouvernement a présenté un recours en septembre dernier et l'argument selon lequel la stérilisation forcée était liée à la condition des femmes en tant que porteuses du VIH, ce qui est un exemple clair de discrimination, a été rejeté pour manque de preuves concluantes.
Dans chacun des trois cas, on a dit aux femmes que la stérilisation était une condition requise pour obtenir un emploi, ce qui constitue une mesure de coercition pour obtenir leur consentement. Le tribunal n'a pu établir le lien entre les abus et la discrimination pour VIH mais, entre 2008 et 2012, le Centre d’aide juridique, un cabinet namibien d'avocats d'intérêt public de Windhoek, a documenté 15 cas de femmes porteuses du VIH qui ont été stérilisées d'office. La Communauté Internationale des Femmes vivant avec le VIH/sida (ICW) a également documenté 44 cas dans son rapport de 2009 sur la stérilisation forcée et coercitive des femmes porteuses du VIH en Namibie.
La reconnaissance judiciaire du fait que les femmes sont stérilisées sans leur consentement est un pas important dans la réalisation de la justice mais elle reste insuffisante pour combler le manque de connaissances législatives en matière de SRHR, ce qui est très décevant de même que le déni du tribunal de reconnaître la discrimination associée au VIH et le manque de volonté du gouvernement pour reconnaître sa responsabilité.
Selon le rapport de l’ICW, « le gouvernement de la Namibie se fait complice de la pratique non éthique de stériliser les femmes porteuses du VIH. » Ceci a été réaffirmé par Jennifer Gatsi-Mallet dans un rapport de Think Africa Press en 2012, dans lequel elle signale que les médecins et un fonctionnaire du programme de VIH ont révélé qu'ils pratiquaient les stérilisations (sans consentement) conformément aux directives du ministère de la santé. Ils ont ajouté que les paramètres sont basés sur les conseils de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir « garantir que les femmes infectées ne tombent pas enceintes et qu'elles ne transmettent par le virus à leur bébé. » Il est intéressant de signaler, selon Think Africa Press, qu’une seulepublication de l’OMS sur le VIH/SIDA fait référence à la stérilisation en signalant qu’« il faut faire très attention de garantir que toutes les femmes puissent faire un choix informé volontaire quant à la méthode... Les travailleurs de la santé doivent veiller à ce que les femmes ne fassent l'objet d'aucune pression et ne soient obligées à se soumettre à aucune procédure. » Le ministère de la santé nie toutefois avoir émis des directives pour stériliser les femmes porteuses du VIH ou même être au courant de la réalisation de stérilisations forcées dans le pays.
Tout comme en Ouzbékistan, le langage des SRHR (en l'occurrence de l’OMS) est coopté pour servir une stratégie gouvernementale en matière de « santé » dépourvue de toute approche durable fondée sur les droits. Un langage qui est censé fournir aux femmes le choix, l’information et l'accès aux services de SRHR est manipulé pour commettre, sous le couvert de l'État, des violations graves sur les corps des femmes et vis-à-vis de leurs droits fondamentaux. Plutôt que de réagir à la propagation du VIH par des solutions réelles, notamment l'accès à l'information sur les SRHR, à l'éducation et à différentes options de planification familiale, les « solutions de facilité » prônées par l'État portent atteinte aux principes de base des droits humains en privant les femmes de leurs droits corporels, de leur droit à la santé, de leur autonomie et de leur sécurité.
Accès à l'information et solution à long terme
Les prétextes utilisés pour recourir à la stérilisation forcée dans les deux pays sont différents, mais le résultat pour les femmes est exactement le même, à savoir des violations brutales de leurs droits et de leur corps. Plutôt que d'aborder les problèmes réels qui sous-tendent l'accroissement démographique et l'élévation des taux de VIH et de SIDA, la stérilisation forcée se transforme en une mesure superficielle associée au contrôle gouvernemental qui constitue une grave violation pour les femmes ainsi que pour les accords internationaux qui ont pour but de les protéger.
En Ouzbékistan, la sensibilisation vis-à-vis des options de planification familiale est très restreinte. Un travailleur de services de santé pour les mères et les enfants révélait dans un récent rapport de l’IWPR que « ces sujets sont tabous... Par conséquent, plutôt que d'éduquer l'opinion publique, le gouvernement choisit tout simplement de réduire le taux de natalité par la force. »
En Namibie, des inégalités de genre profondément ancrées expliquent l'existence de rapports de force déséquilibrésgrâce auxquels les hommes sont ceux qui prennent la décision de l'utilisation de la contraception, ce qui rend les femmes « particulièrement vulnérables à la contagion du VIH car, d'une manière générale, elles ne sont pas en mesure, en raison de leur situation sociale et économique relativement désavantagée, d'éviter d'avoir des relations sexuelles avec un partenaire porteur du VIH ou de IST ou d'imposer l'utilisation de préservatifs.”
Dans les deux cas, une solution réelle pour protéger les femmes, et surtout leurs droits fondamentaux, est de soutenir les organisations des droits des femmes qui œuvrent à la sensibilisation en matière de SRHR et qui travaillent pour comprendre la réalité des déséquilibres des rapports de force entre femmes et hommes, ainsi que pour tenter, avec les femmes et avec les hommes, de résoudre des problèmes mondiaux tels que la surpopulation et la propagation du VIH et du SIDA.
*L’auteure souhaite remercier Marisa Viana de sa contribution.
[i] Selon un rapport de l’Open Society Foundation, rares sont les femmes ayant subi une stérilisation forcée qui sont disposées à dénoncer le fait par peur de représailles.
[ii] Aucune référence sur la “norme 1098” n'a été trouvée au moment de l'élaboration de cet article.
[iii] Mesures adoptées moyennant le Décret No. PP-1096 par le President Islam Karimov sur le renforcement de la protection des mères et des enfants, la formation d'une génération saine.