Le livre «Código Rosa. Relatos sobre abortos» (« Code Rosa. Récits d’avortements ») est une création collective née à partir d’une idée de La Revuelta Colectiva Feminista. Au cours de l’année 2012, La Colectiva a recueilli les témoignages de femmes ayant subi des IVG par voie médicamenteuse et ayant été accompagnées dans leur décision par Socorristas en Red (Feministas que abortamos) (secouristes en réseau- féministes qui avortons). L’AWID s’est entretenue avec Dahiana Belfiori, activiste féministe, secouriste et auteure du livre.
Le contexte argentin
En Argentine, 400 000 à 500 000 avortements clandestins sont pratiqués chaque année, tandis qu’une centaine de femmes enceintes meurent des suites d’avortements risqués. Les actions déployées sans relâche par les féministes et les activistes au nom des droits des femmes ont permis d’instituer le débat dans la société. L’accompagnement commence également à être proposé aux femmes enceintes qui en ont le besoin.
L’historique « Campaña Nacional por el Derecho al Aborto Legal, Seguro y Gratuito », qui œuvre depuis 2005 à implanter le débat dans la société et dans le programme des médias, propose depuis 2007 des projets de loi en faveur de l’interruption légale de grossesse. Le sixième projet de loi en faveur d’une Loi d’interruption volontaire de grossesse a été proposé en juin 2016.
Les Socorristas en Red, dont l’action a démarré en 2012, « sont un réseau de groupes et de collectifs argentins qui offre des informations et propose un accompagnement, par téléphone ou des rencontres en face à face, à des femmes ayant décidé d’avorter en recourant au misoprostol, un médicament qui permet d’interrompre la grossesse et peut être utilisé par les femmes en toute sécurité jusqu’à 12 semaines de grossesse. »
De corps en corps, de bouche en bouche
Les expériences de ces femmes qui ont choisi de les partager ont été diffusées de façon plus publique sur les sites web et les forums d’échanges féministes à la fin de l’année 2004. L’utilisation de la première personne du singulier a permis de passer du cadre personnel au cadre politique. Sur le net, ou encore brandi sur les affiches lors des manifestations, on a commencé à lire et écouter « J'ai avorté ».
Le livre « Código Rosa. Relatos sobre abortos », s’inscrit dans cette histoire, mais va plus loin dans la présentation des témoignages. A partir des récits qui ont été partagés avec les secouristes, la plume de Dahiana Belfiori développe les expériences : on y trouve celle de la femme qui a avorté, mais aussi celle d’une docteure alliée qui dispense des informations sur l’avortement à l’Université. L’emploi de la première personne permet de franchir la frontière entre le réel et la fiction et de créer un puissant mélange politico-créatif.
« A la fin de l’année 2013, la Colectiva m’a invitée à écrire un livre composé de récits fictifs en m’inspirant des expériences déposées par ces personnes », raconte Dahiana Belfiori, qui signale au passage que cette proposition était doublement motivante du fait qu’elle touchait à deux aspects centraux de sa vie : l’activisme et l’écriture. « En tant que féministe et activiste pour le droit à l’avortement légal et libre, j’ai été encouragée à penser et à revoir ces témoignages d’un autre angle ; j’ai tout de suite compris que le fait d’inventer de nouvelles narratives autour de ces expériences d’avortement, loin des discours habituels et admis socialement sur le sujet, devenait un travail éthique, esthétique et politique, à la fois inéluctable et complexe ».
« Pour l’écrivaine que je suis, cela représentait un défi à plusieurs égards.
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Quiconque ayant travaillé sur des témoignages se rappellera comment ces petites inquiétudes continues, parfois insupportables, nous assaillent lorsque nous intervenons sur les voix d’autrui. Et je me demandais : comment cueillir l’essence de ces voix réelles qui se sont livrées avec tant de gentillesse dans une interview abordant une phase certes brève, mais significative, de leurs vies ? »
L’auteure avoue avoir été guidée par le même désir que celui sans cesse exprimé par les protagonistes : ‘je veux que mon témoignage soit utile à d’autres femmes’. « Convaincue que la fiction est une arme puissante pour penser le monde et créer d’autres mondes possibles, je me suis plongée dans un peu plus d’un an d’écriture, qui est venue compléter les illustrations inquiétantes et belles de Luis Acosta et Gisela Martino ».
La nécessité d’un débat
Durant l’année 2015, l’auteure a été invitée à participer à un peu plus de trente présentations à travers toute l’Argentine, dans des espaces universitaires comme dans des lieux activistes et culturels très variés, avec un public très varié lui aussi.
Belfiori parle d’une « expérience très mobilisatrice. J’ai pu mesurer combien les personnes étaient demandeuses de débats sociaux libres de préjugés autour de ce sujet. J’ai également constaté que le récit de l’expérience de l’avortement, lorsqu’il est partagé par une femme qui se trouve là, en chair et en os, s’impose avec beaucoup plus de force face aux discours qui s’y opposent, y compris face à certains des arguments que nous, les féministes, invoquons en sa défense. L’expérience conjuguée à la fiction crée un discours solide pour aborder des sujets complexes, en ce qu’elle contribue à ébranler les préjugés et permet l’émergence de voix, y compris la mienne ».
Pendant que l’Argentine attend que l’Etat assume ses responsabilités et cesse avant tout de criminaliser les femmes, les activistes et les féministes continuent de se manifester, de travailler sur leurs projets et de prêter assistance aux femmes qui en ont besoin. Le livre Código Rosa. Relatos sobre aborto est un livre nécessaire, précisément parce qu’il provoque le débat, et un travail littéraire qui s’affirme au-delà du recueil de témoignages.
Comme le dit Belfiori, « c’est un instrument de plus dans le grand orchestre de voix qui œuvrent à légaliser l’avortement en Argentine. En ce sens, il ne peut se concevoir sans histoire ni être pris indépendamment des autres pratiques et discours ayant la même finalité ».