DOSSIER DU VENDREDI : L'activiste Anastasia Danilova explique la façon dont la campagne menée par la Moldavie pour adhérer à l'Union européenne constitue une opportunité et favorise une certaine réaction en ce qui concerne les droits des gays, des lesbiennes, des bisexuels et des transsexuels (LGBT).
Par Masum Momaya
Comme beaucoup d'économies en difficulté après l’ère soviétique, la Moldavie se trouve actuellement à la croisée des chemins entre la perpétuation du marasme économique et les opportunités associées à l'adhésion à l'Union européenne. Dans un pays gangrené par l'instabilité politique de ces dernières années, l'émigration croissante des jeunes et les conflits territoriaux actuels avec la Russie, les dernières élections ont fait apparaître des divergences profondes entre les partisans du changement et les tenants du statu quo.
Anastasia Danilova, activiste des droits des femmes appartenant à Gender Doc-M, l'organisation la plus ancienne, dans l'ère postsoviétique, à s'occuper des LGBT, analyse la discrimination quotidienne, le rôle de l'église et la différence que peut faire la demande d'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne (UE) pour la communauté LGBT de ce pays.
AWID : La Moldavie n'est peut-être pas très connue pour beaucoup de nos lecteurs/lectrices. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Anastasia Danilova (A.D.): la Moldavie est l'un des anciens états de l'Union soviétique. Il s'agit d'un pays très chrétien et orthodoxe dans lequel l'église possède un pouvoir considérable, y compris dans les milieux politiques et sur le plan des politiques publiques. Actuellement, la Moldavie est également un pays très pauvre qui connaît un marasme économique depuis la chute de l'Union soviétique il y a 20 ans. Nous souhaitons adhérer à l'Union européenne (UE) et, pour ce faire, le gouvernement doit démontrer qu'il respecte les principes des droits humains, situation qui est très différente en théorie et dans la pratique et qui évolue très lentement.
Pour la communauté LGBT, la possibilité d'adhérer à l'Union européenne a, certes, favorisé la sensibilisation quant aux principes des droits humains mais a aussi provoqué une certaine réaction. Certaines personnes, dont les nationalistes, affirment que les Européens ont une influence qui pousse les gens à l'homosexualité qui nous est imposée de l'extérieur. C'est pourquoi la question de l'adhésion à l'UE provoque, pour cette raison particulière et pour d'autres raisons, beaucoup de tension dans le pays.
AWID : Quelle est la situation actuelle des LGBT en Moldavie ?
A.D.: Comme je l'ai mentionné, l'église possède un pouvoir considérable en Moldavie et dénonce publiquement l'homosexualité qu'elle considère comme un péché. Il est très difficile, dans ce pays, de se montrer en désaccord avec l'église car 90 % de la population se réclame de la foi chrétienne.
Les LGBT se heurtent à des discriminations quotidiennes chez eux, à l'école, sur le lieu de travail et dans les lieux publics. Par exemple, les enfants soupçonnés d'homosexualité ou qui ont des parents homosexuels font l'objet de harcèlement à l'école. Beaucoup de gens qui osent parler ouvertement ou déclarer leur orientation sexuelle sont expulsés de leurs domiciles et des lieux de travail. J'ai récemment tenté de trouver un refuge pour une femme lesbienne victime de violence au sein de sa famille, refuge qui lui a été refusé pour le fait d'être lesbienne. Les LGBT sont généralement expulsés des restaurants et des bars.
Les LGBT qui vivent en dehors de la capitale, Chisinau, rencontrent encore plus de difficultés car bon nombre de ces régions sont instables sur le plan politique et la situation économique y est encore plus grave, y compris en Transnistrie, région contestée et aujourd’hui occupée par des troupes russes. Pour des raisons de sécurité, beaucoup d'entre eux s'unissent à des personnes du sexe opposé et vivent ainsi leur vie. Les LGBT vivant dans des zones rurales éloignées sont privés de tout accès à un soutien ou à des services. D'une manière générale, si vous êtes membre de la communauté LGBT, il est plus sûr de vivre à Chisinau.
AWID : Les LGBT sont-ils pénalisés par la loi ?
A.D.: Non, l'homosexualité a été dépénalisée en 1993, tout comme dans d'autres pays de l'ancienne Union soviétique. Nous travaillons avec une coalition d'ONG pour élaborer et promouvoir une législation anti-discrimination qui réponde aux besoins non seulement des LGBT mais aussi des personnes handicapées, des personnes âgées et des membres de la communauté rom. Il s'est avéré très difficile de promouvoir cette législation car nous connaissons actuellement une situation politique réellement instable où beaucoup expriment leur mécontentement vis-à-vis des dirigeants actuels et remettent en question l'intégrité des processus électoraux, mais nous continuons d'y travailler.
AWID : Quelles sont les autres activités que mènent les organisations LGBT en Moldavie ?
A.D.: Nous publions deux magazines pour accroître la prise de conscience vis-à-vis de l'orientation sexuelle et de la diversité sexuelle. Un de ces magazines est destiné au grand public et l'autre à la communauté LGBT. Outre les informations relatives à la législation et aux politiques, les magazines contiennent également des poèmes et des histoires. Nous aimerions également réaliser des films mais, d'une manière générale, les gens sont réticents à se montrer en public.
Nous organisons également des séminaires à propos de la diversité sexuelle à l'intention de travailleurs du secteur de la santé, des assistants sociaux, des psychologues, des policiers, des journalistes et des étudiants. À part cela, nous n'avons guère de possibilités d'aborder publiquement ces questions, sauf durant les trois journées de notre festival annuel (Pride). Le festival fait l’objet d’une grande couverture médiatique. Pendant trois jours, toutes les chaînes nationales parlent d'homosexualité et de Gender Doc-M.
AWID : Y a-t-il des initiatives spécialement ciblées sur les femmes ?
A.D.: D'une manière générale, le mouvement des femmes est très faible en Moldavie. Gender Doc-M met en œuvre un programme qui a spécialement pour but de renforcer l'autonomie des lesbiennes et bisexuelles. Le 11 octobre de l'année dernière, nous avons organisé une mobilisation éclair (flash mob). Le concept était que chacun/e écrive et affiche une phrase le ou la concernant, par exemple « j'ai les yeux verts », « je suis une femme », etc. Trois jeunes filles ont écrit : « je suis lesbienne », « j'aime les femmes » et « je l'aime ». Certaines de ces jeunes filles ont commencé à participer aux ateliers et à parler de diversité sexuelle à d'autres, y compris aux membres de leur famille.
AWID : Travaillez-vous avec des communautés LGBT dans d'autres pays de l'ancienne Union soviétique ?
A.D.: Pendant cinq ans, nous avons mené à bien un projet commun avec plusieurs groupes d'Arménie, d’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, de Géorgie, d'Ukraine et du Kirghizstan. L'idée était d'échanger des expériences, des informations et des stratégies. Par exemple, notre situation est très similaire à celle qui existe en Ukraine mais présente également des similitudes avec la situation du Kazakhstan en raison de l'influence de l'islam dans ce pays.
AWID : Quelles sont les dernières nouvelles en ce qui concerne l'attitude du gouvernement qui se dresse en défenseur des droits humains pour accéder à l'Union européenne ?
A.D.: Au cours des dernières élections, beaucoup ont voté pour des partis qui affirmaient défendre les droits humains. Certains de ces partis ont été élus mais, après plus d'un an au pouvoir, n'ont pas changé grand-chose. Qui plus est, chaque fois que nous avons tenté de leur parler des droits humains et de la législation anti-discrimination, à huis clos ou moyennant des manifestations publiques pacifiques, ils ont refusé de nous recevoir.
AWID : Qu'espérez-vous pour l'avenir immédiat ?
A.D.: Je pense que les comportements des gens de mon pays évoluent lentement. Etant donné le manque d'opportunités en Moldavie, nombreux sont les jeunes gens qui vont étudier ou travailler à l'étranger, en Roumanie et dans d'autres pays européens. A leur retour, ils semblent avoir acquis une plus grande ouverture d'esprit et sont plus ouverts aux changements sociaux. Nous allons continuer de promouvoir cette législation anti-discrimination et la sensibilisation à propos de la diversité sexuelle, et de soutenir les membres de la communauté LGBT. Toutes ces actions doivent être menées simultanément.
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.