Informez-vous

Votre source d’information par excellence sur les dernières tendances touchant la justice de genre et les droits des femmes dans le monde

Défense des droits humains des femmes au Zimbabwe : analyse des complexités

DOSSIER DU VENDREDI : les Femmes défenseures des droits humains (FDDH) au Zimbabwe sont souvent arrêtées, détenues illégalement et soumises à des sévices pendant leur détention, tout cela pour le fait de participer à une manifestation pacifique. L'AWID tente de démêler les complexités du contexte dans lequel elles évoluent pour comprendre comment ces défenseures sont touchées par une violence à caractère politique, le processus de réforme agraire et la pandémie du VIH/sida.

Par Amanda Shaw

Le 28 juin, FrontLine a lancé une action urgente à propos de l’empoisonnement présumé de membres de l’association Women of Zimbabwe Arise (WOZA). Huit membres de l’association WOZA ont dû être hospitalisé(e)s après s’être rendu(e)s dans la propriété qui leur sert de siège de réunion, où régnaient de fortes odeurs de produits chimiques. À leur arrivée dans cette maison, qui avait été occupée pendant 12 jours par la police de la République du Zimbabwe, ils/elles ont trouvé divers objets douteux, constaté les dommages causés aux installations et la disparition de certains éléments. WOZA est une organisation de défense des droits des femmes composée de plus de 75.000 membres distribués dans tout le Zimbabwe qui a souvent été la cible de mesures de répression pour son action de défense des droits humains des femmes.

Le cas de WOZA n’est qu’un incident parmi d’autres pour les FDDH au Zimbabwe, qui a suscité la réaction récente de l’AWID. Outre l’alerte lancée par FrontLine, Amnesty International a manifesté sa préoccupation, en mars 2011, quant à la répression généralisée à l’égard des dissidents au Zimbabwe et à l’intensification de cette répression contre les défenseur(e)s des droits humains. Dans le même temps, l’action des FDDH du Zimbabwe fait également l’objet d’une reconnaissance accrue, comme le démontre le cas de Nyaradzayi Gumbonzvanda, à laquelle a été décerné le prix de cette année de l’Association des avocates du Zimbabwe Zimbabwe Women Lawyers Association (ZWLA) pour la défense des droits humains des femmes. Dans le dossier du vendredi de cette semaine, l’AWID se penche sur le cas des Femmes défenseures des droits humains du Zimbabwe et tente de démêler certaines des complexités du contexte dans lequel se déroule leur action.

Rappel du contexte

Le parti du président Robert Mugabe, l'Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), est au pouvoir au Zimbabwe depuis que le pays a obtenu son indépendance des Britanniques en 1980. Après l’indépendance, le conflit qui a opposé le gouvernement de Mugabe et le parti dissident, l’Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU) a débouché sur une campagne de « pacification », surnommée Gukuruhundi, qui a causé la mort d’au moins 20 000 civils. Le ZANU-PF et ses alliés politiques ont souvent eu recours à la violence comme instrument politique et les citoyens ordinaires du Zimbabwe, les activistes de la société civile ainsi que les défenseur(e)s des droits humains (y compris les FDDH) sont souvent victimes de ces combats.[i] Les auteurs de ces violences, essentiellement des partisans de la ZANU-FP, aussi appelés « vétérans de guerre », des milices de jeunes et des forces de sécurité d’État[ii]) demeurent pour la plupart impunis pour ces violences, qui incluent les assassinats, les tortures et les sévices.[iii]

La violence à caractère politique enregistre historiquement une recrudescence aux environs des élections et inclut une violence de type sexiste à l’encontre des FDDH et des femmes qui ont ou qui sont soupçonnées d’avoir une participation politique active au sein du principal parti d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC). Le MDC a partagé le pouvoir avec la ZANU-PF depuis les élections contestées tenues en 2008 et a refusé de participer à la prochaine élection récemment annoncée par Mugabe. Le MDC invoque la crainte de violences contre ses partisans et exige l’adoption de réformes en matière d’élections et de sécurité, de même qu’une nouvelle constitution comme condition préalable aux élections nationales.

Une autre source de tensions politiques est le très controversé Programme foncier accéléré qui a pour but de procéder à une redistribution rapide des terres visant à remédier à la disparité existant entre la propriété foncière et l’utilisation des terres des blancs et des noirs dans le pays. Un rapport de Human Rights Watch rend compte des violations des droits humains associées à l’aspect accéléré du processus de réforme agraire, notamment la violence qui accompagne les opérations de terrain, les attaques commises contre les agriculteurs blancs, les attaques commises contre les travailleurs agricoles noirs, y compris les viols, l’utilisation des fermes comme bases d’opérations de harcèlement contre les partisans de l’opposition, les défaillances en termes d’application de la loi et de protection policière, la discrimination dans la répartition des terres, les déplacements et la marginalisation des travailleurs agricoles et la perturbation des activités des organisations rurales. Les expulsions forcées réalisées durant l’application du programme ont particulièrement touché les femmes qui représentent 70 pour cent des travailleurs agricoles et la majorité des petits commerçants dans les zones rurales, et ont considérablement compromis leur accès aux revenus, à l’alimentation, à la santé, à l’éducation et au logement.[iv]

La pandémie de VIH et de sida touche également les FDDH du Zimbabwe : elles se voient refuser l’accès aux médicaments antirétroviraux (ARV) pendant leur détention, elles risquent de contracter le VIH après avoir été victimes d’abus sexuels, et/ou elles doivent souvent, en plus de leur action en faveur des droits humains, prendre soin des personnes qui sont à leur charge. Ceci est particulièrement le cas au Zimbabwe qui présente un des taux les plus élevés au monde d’infection par le VIH et le Sida (environ une personne sur 10 est séropositive), alors que, dans le même temps, l’accès aux ARV est très limité et que, d’une manière générale, le secteur santé du pays est pratiquement inopérant. Les femmes qui ont dénoncé les abus sexuels commis par les forces de sécurité ou les factions politiques signalent également que le personnel médical refuse de les traiter, par crainte de représailles de la part des auteurs de ces abus, ce qui constitue une nouvelle violation de leurs droits.[v]

Les FDDH au Zimbabwe

Les femmes du Zimbabwe ont une longue tradition de mobilisation contre l’injustice et font pression, depuis l’indépendance du pays, en faveur de l’adoption de lois et des politiques qui encouragent et protègent leurs droits. Elles ont combattu pour une réforme des lois discriminatoires relatives au mariage et à l’héritage, ont obtenu la reconnaissance de l’âge légal de la majorité pour les femmes ainsi que l’adoption d’une loi contre la violence familiale à la chambre des députés.[vi] C’est également en partie dans le cadre de leur combat pour les droits à l’alimentation, au logement et à la santé[vii] que les femmes du Zimbabwe deviennent souvent des défenseures des droits humains.

L’association Women of Zimbabwe Arise (WOZA) est née en 2003 en tant que mouvement de défense de la justice sociale préoccupé par l’impact démesuré du déclin économique du Zimbabwe sur l’accès des femmes aux biens et services de base tels que l’alimentation, l’eau, les soins de santé, l’électricité et l’éducation. WOZA encourage les femmes à défendre ouvertement leurs droits et leurs libertés, leur apporte un soutien chaque fois qu'elles dénoncent les problèmes qui les touchent, et les aide également à prendre confiance en soi pour assumer le leadership dans les décisions communautaires. À la suite de leurs activités de plaidoyer et des manifestations pacifiques organisées pour protester contre les mesures des fonctionnaires gouvernementaux, des prestataires de services et de la police, les membres de WOZA ont été, à plusieurs reprises, arrêtées, détenues (parfois enceintes ou accompagnées de petits enfants)[viii] et poursuivies en justice par une législation répressive. Les membres se sont également vus refuser l’accès au maïs subventionné dans les zones rurales en représailles pour leur activisme.

Depuis 2003, des centaines de FDDH au Zimbabwe ont fait l’objet de détentions et d’arrestations arbitraires pour le fait d’avoir organisé des défilés de rue, des réunions ou d’autres manifestations pacifiques [ix] et les organisations de défense des droits humains font souvent l’objet d’une surveillance et d’interférences injustifiées de la part de l’État. Des lois répressives telles que la Loi sur l’ordre public et la sécurité et la Loi sur les délits divers sont invoquées par la police pour refuser aux défenseur(e)s des droits humains l’autorisation de tenir des manifestations pacifiques ou pour les arrêter ou les détenir de façon arbitraire. Ces lois bafouent les droits de FDDH à la liberté d’expression, d’association et d’assemblée pacifique et compromettent leur action légitime en faveur des droits humains.

Durant leur arrestation arbitraire, leur détention ou les épisodes de harcèlement, les FDDH du Zimbabwe ont dénoncé les attaques verbales sexistes dont elles ont fait l’objet, les humiliations, la torture psychologique et physique, les traitements inhumains ou dégradants, y compris le fait d’être logées dans des conditions déplorables, d’être privées de nourriture, de se voir refuser l’accès aux conseils juridiques et aux soins ou au traitements médicaux.[x]

Les différences entre les FDDH du Zimbabwe telles que la race, la classe, l’ethnicité, la situation de vétérans et la région, entre autres facteurs, influencent également la façon dont elles sont traitées ainsi que la manière dont sont bafoués leurs droits humains. Par exemple, les femmes des zones rurales sont plus exposées à la destruction de leurs propriétés, aux déplacements, aux viols et à la torture que les femmes urbaines qui, elles, font l’objet d’un plus grand nombre d’attaques, de détentions illégales et de menaces de mort.[xi] Les FDDH sont également plus sujettes à la violence des forces publiques, alors que les femmes politiquement actives sont plus souvent la cible de membres de partis politiques adverses.[xii]

Les FDDH sont protégées par la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme en raison de leur action en faveur de la défense des droits humains. Mais dans ce contexte de forte violence politique et de genre, il n’est pas simple de séparer les violations des droits humains des FDDH de la violence à caractère politique (qui entraîne souvent des violations des droits humains). Au Zimbabwe, les FDDH défendent les droits des femmes et s’attachent à faire ressortir l’impact de la dégradation de la situation économique, politique et sociale sur les femmes. En réagissant en faveur de ces droits, les FDDH au Zimbabwe deviennent souvent la cible d'une violence à caractère politique ciblée sur les partisans. Bien que victimes de violations des droits humains similaires à celles dont font l’objet leurs homologues masculins, elles font l’expérience et subissent l’impact de ces violations qui varient selon le sexe.

Dans le climat d’incertitude qui entoure les prochaines élections, il est important de suivre de près la situation des FDDH sur le terrain et de continuer à appeler l’attention sur leur action. Pour des organisations comme WOZA, il faudra, pour poursuivre l’action en faveur des droits humains, obtenir des réformes qui mettent fin à l'impunité des auteurs de violations des droits humains ainsi que la promulgation de politiques promouvant les droits humains des femmes à, entre autres, l’alimentation, la sécurité, la santé et l’éducation.

En savoir plus sur The People’s Charter, la vision de WOZA sur les droits humains au Zimbabwe.

Notes______________________________

[i] Human Rights Watch, (2008) “Bullets for Each of You” State-Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, page 10. Disponible à l’adresse http://www.unhcr.org/refworld/country,,HRW,COUNTRYREP,ZWE,,484ce8812,0.html,

[ii] Ibid.

[iii] Research & Advocacy Unit, “Politically Motivated Violence against Women in Zimbabwe , 2000-2010. A Review of the Public Domain Literature,” août 2011 pp. 19-20. Disponible à l’adresse: http://www.kubatana.net/html/archive/women/110826rau.asp?sector=WOMEN

[iv]Amnesty International, “Zimbabwe: Between a Rock and a Hard place – Women Human Rights Defenders at Risk, “juillet 2007, pp 2-3. Disponible à l’adresse: http://www.amnesty.org/en/library/info/AFR46/017/2007

[v] Research & Advocacy Unit, “Politically Motivated Violence against Women in Zimbabwe , 2000-2010. A Review of the Public Domain Literature,” août 2011, page 18.

[vi] Amnesty International, “Zimbabwe: Between a Rock and a Hard place – Women Human Rights Defenders at Risk, “juillet 2007, page 10.

[vii] Ibid, page 3.

[viii] Amnesty International, “Zimbabwe, Continued Clamp Down on Dissent,” Amnesty International Submission to the UN Universal Periodic Review, mars 2011, page 4. Disponible à l’adresse: http://www.amnesty.org/en/library/info/AFR46/016/2011/en

[ix] Ibid, pp. 2-3.

[x] Ibid, page 4.

[xi] Research and Advocacy Unit, “National Constitutional Assembly. Fighting for a New Constitution: Human Rights Violations experienced by Female Members of the National Constitutional Assembly,” décembre 2009, page 3. Disponible à l’adresse: http://www.researchandadvocacyunit.org/index.php?option=com_docman&task=doc_details&gid=89&Itemid=90

[xii] Ibid, page 5.

Category
Analyses
Region
Afrique
Source
AWID