DOSSIER DU VENDREDI: Le troisième Forum des féministes africaines s’est tenu à Dakar vers la fin du mois d’octobre 2010. Le présent article vise à proposer quelques réflexions sur cette rencontre.
Par Kathambi Kinoti
Le Forum des féministes africaines (FFA) 2010 s’est articulé autour du thème des connexions, mais il aurait également pu l’être autour de la couleur, qui s’est révélée être son thème sous-jacent. Le lieu choisi pour tenir cette réunion fut la ville de Dakar, à l’extrémité occidentale de l’Afrique. Ici, presque 200 femmes du deuxième continent le plus grand du monde se sont réunies afin de renouveler leur énergie féministe et de discuter de la situation de leur travail et de leurs mouvements dans le contexte des réalités locales, régionales et mondiales.
Les couleurs du FFA ont envahi tous les espaces : chaque participant a reçu un foulard couleur pourpre et un fourre-tout violet et mauve. La diversité des styles vestimentaires et des couleurs portées par les femmes provenant des différentes nations africaines a égayé cette conférence.
Le déploiement visuel est seulement l’un des aspects de la richesse en couleurs du FFA. Les sessions ont également adopté une diversité de formats : un micro ouvert pour présenter le meilleur de la poésie, la musique et la danse des féministes africaines ; un dîner pour le gala de clôture qui a célébré la gastronomie et la culture sénégalaises dans le cadre du FFA 2010 ; le grand débat et le grand procès : les outils de marque du FFA pour évaluer le travail mené par les féministes africaines. La diversité s’est également reflétée de manière évidente dans l’hétérogénéité des participantes.
Créativité et connaissance
La créativité et la production de connaissances des féministes ont également été célébrées lors du forum. Le premier FFA a donné lieu à la Charte des féministes africaines, un ensemble de principes et de valeurs qui définissent ce qu’est exactement une féministe africaine. Le processus de candidature pour participer au FFA exige l’adhésion à la Charte.
Lors du FFA 2010, Sarah Mukasa de l’AWDF (Fonds de développement de la femme africaine) a présenté un nouvel instrument qui reprend la Charte et l’applique aux organisations, en établissant le lien entre la conviction et l’élaboration de politiques. Qu’est-ce qu’une organisation féministe exactement ? L’outil de développement organisationnel contribue à éclaircir cette question et fournit aux organisations des suggestions afin de les aider à faire vivre la Charte au travers de leurs politiques et pratiques.
Tout au long du Forum, un appel à l’action a été entendu à plusieurs reprises pour que les féministes africaines continuent de produire et de diffuser leurs propres connaissances. Des ateliers sur l’écriture et la photographie pour le plaidoyer a fournit aux participantes des outils pratiques pour raconter leurs histoires. Comme signalé dans un article rédigé par Jessica Horn sur le troisième FFA, un ancien proverbe dit que tant que les lions n’auront pas appris à raconter par eux-mêmes leur propre histoire, les récits de chasse continueront de glorifier le chasseur. Dans un continent à forte tradition orale, les récits écrits de chasseurs ont le dessus dans un monde où le mot écrit prédomine.
Outre la Charte et l’outil organisationnel, l’AWDF contribue à la production de connaissances par la publication de Voice, Power and Soul (voix, pouvoir et âme), un recueil d’images et de mots qui dresse le portrait de diverses féministes africaines. Lors du forum, Yaba Badoe a partagé les histoires des Sorcières de Gambaga en diffusant ce film troublant et fascinant qui raconte l’expérience de femmes au nord du Ghana qui étaient contraintes de confesser qu’elles sont sorcières et qui ont été ensuite bannies de leurs maisons et villages.
Dans Voice, Power and Soul, l’érudite et poétrice Abena Busia signale:
«Nous espérons pouvoir promouvoir de nouvelles interprétations de l’histoire de l’Afrique en attirant l’attention sur ce que les femmes font et disent».
Subversion et solidarité
Ce que les femmes africaines font et disent pour lutter contre le statu quo et s’appuyer mutuellement constitue un élément fondamental de leur identité féministe. Des actes de subversion de femmes, tant individuels que collectifs, ont été présentés : les femmes de Casamance, au Sénégal, qui ont exigé (et obtenu) un espace dans les négociations de paix ; les mères de prisonniers politiques kényans qui ont campé pendant des mois au Freedom Corner à Nairobi jusqu’à ce que leurs fils soient libérés ; les organisateurs des Monologues du vagin en Ouganda qui ont constaté que l’interdiction du gouvernement de mettre en scène cette pièce signifiait que son message avait atteint un public large en raison de la controverse suscitée.
Le FFA 2010 en lui-même a offert des opportunités de subversion et de solidarité. Une délégation de féministes s’est rendue à l’ambassade de la Gambie afin de présenter une pétition protestant contre l’arrestation de deux activistes importantes de la défense des droits humains des femmes, le Dr. Isatou Touray et Amie Boujang Sissoho. Initialement refoulées à l’entrée de l’ambassade, leur action subversive leur a finalement permis d’y pénétrer et de remettre leur pétition. Au cours de la séance plénière finale du forum, les féministes ont fait circuler un panier afin de réunir des fonds pour le musée de la femme sur l’île de Gorée.
Le thème du grand débat du FFA 2010 était « Les femmes sont leur pire ennemi », une phrase souvent répétée pour minimiser l’action des femmes. Bien que techniquement, les opposants au thème aient perdu le débat, la subversion et la solidarité dont ont fait preuve des générations de femmes prouvent que les femmes ne sont pas leur pire ennemi.
L’argent et le pouvoir
Les rapports individuels et collectifs à l’argent et au pouvoir sont analysés. Les participantes ont été confrontées au concept d’ « attirer » l’argent dans leurs vies sans exploitation et sans ignorer le besoin d’aborder les causes profondes de la pauvreté et de l’inégalité dans le continent, qui ne peut être séparé de l’agenda néolibéral mondial. La nécessité pour les féministes africaines de financer leur propre révolution a été rappelée et les participantes ont démontré leur conviction à cet égard en remplissant le panier ayant circulé au profit du musée de la femme.
Les féministes sont engagées depuis longtemps vis-à-vis des états africains tant de l’intérieur que de l’extérieur. Margaret Dongo, ancienne combattante ayant lutté pour la libération du Zimbabwe, qui est par la suite devenue membre du Parlement, a évoqué les expectatives de voir les femmes revenir à leurs « rôles traditionnels » après la victoire et le retour à la paix. Les anciennes combattantes pour la liberté n’ont jamais imaginé qu’elles auraient à lutter pour un espace en temps de paix après s’être battues aux côtés des hommes durant la guerre.
Le pouvoir informel a également été un sujet à l’esprit des participantes à la réunion. Bisi Adeleye-Fayemi, Directrice exécutive sortante de l’AWDF, a annoncé sa démission afin d’assumer les fonctions de première dame de l’État d’Ekiti au Nigéria ; après une longue bataille judiciaire, la Cour suprême a finalement déclaré son époux Gouverneur de l’État. Elle a évoqué la nécessité pour les féministes de reconnaître et d’occuper des fonctions de pouvoir tant formel qu’informel.
Le fondamentalisme religieux tend à resurgir lorsque la pauvreté, l’inégalité et le désespoir apparaissent. Jessica Horn a présenté les résultats de sa recherche, commissionnée par l’AWID, qui montre que le pouvoir du fondamentalisme religieux est ressenti dans toute l’Afrique. Le continent est victime d’une montée de l’anti laïcisme et de l’homophobie. Une théologie de la prospérité visant à détourner l’attention des facteurs structurels qui perpétuent la pauvreté est populaire dans de nombreuses églises chrétiennes, et les femmes sont poussées à revenir à leurs tâches domestiques. Les fondamentalistes islamiques sont en montée dans les pays tels que l’Algérie, le Nigéria et la Somalie. Sylvia Tamale, professeure de droit à l’Université Makerere en Ouganda, signale que le fondamentalisme religieux se fraie un chemin dans les lois et devient progressivement un fondamentalisme politique. De son point de vue, la solution serait que les féministes s’engagent davantage dans les religions, en les respectant en tant qu’institutions dans lesquelles les personnes ont leurs croyances et valeurs, mais en les reconstruisant de sorte à les rendre pertinentes et libératrices pour les femmes.
Les échelons national et régional
Les membres du FFA sont encouragés à organiser des forums féministes nationaux, pour lesquels l’AWDF joue un rôle instrumental d’appui. Le Nigéria, l’Ouganda et le Sénégal sont les seuls pays ayant organisé des forums depuis le dernier FFA tenu à Kampala, en Ouganda, et ont présenté des rapports impressionnants. L’une des leçons tirées de ces trois forums est la nécessité de promouvoir de manière consciente et continue l’inclusion et la diversité. Le Forum des féministes de l’Ouganda (FFO) a mis au point des directives visant à assurer la diversité des participants. La déclaration de la mission du Forum des féministes du Nigeria (FFN) reconnaît la nécessité de continuer de gagner des adhérents. Dans un continent connu, en particulier dans le passé, pour ses coups d’état militaires, Solome Nakaweesi Kimbugwe de l’AMwA a fait sourire lorsqu’elle a transmis le secrétariat du FFO au FOWODE (Forum des femmes dans la démocratie) « de manière pacifique et au grand jour » selon ses propres mots.
Malgré la présence de nombreuses jeunes féministes au FFA 2010, certaines participantes ont senti que celles-ci n’étaient pas représentées de manière adéquate dans les panels. Elles ont exprimé leur souhait de voir davantage de personnes-ressources des jeunes féministes aborder non seulement des questions considérées du domaine des jeunes féministes, sinon également d’autres thèmes d’intérêt.
Un futur resplendissant
Les féministes africaines ne sont pas une nouveauté : les féministes résistent au patriarcat depuis des siècles, même si elles ne se proclament pas forcément féministes. Ce qui est relativement nouveau en revanche, c’est l’effort de créer de manière consciente un espace pour toutes les personnes du continent qui se réclament explicitement du féminisme en vue d’apprendre et de désapprendre des manières de faire dans le but d’accroître l’impact aux échelons local, régional et mondial. Les connaissances et les outils produits par le FFA sont également utiles à d’autres mouvements féministes régionaux et mondiaux du monde entier et le prochain pas sera donc de trouver la manière de partager les leçons apprises avec d’autres mouvements.
Il était exigé des participantes au FFA de signer un Engagement Féministe qui fixe les règles d’un véritable espace féministe. Les participantes ont promis de ne pas utiliser un langage ou exhiber un comportement exclusionnaire, homophobe ou discriminatoire entre autres. Elles ont certifié qu’elles ont lu et qu’elles souscrivent à la Charte des Principes Féministes. Cependant, les organisatrices et présentatrices de la plupart des sessions auraient dû faire davantage pour infuser de manière plus explicite une perspective féministe, qui se distingue clairement d’une perspective de plaidoyer des droits des femmes. Evidemment, les deux sont inter reliées, mais pour un espace qui se réclame d’être féministe, le féminisme devrait être plus apparent.
Toutefois, avec la solide fondation féministe établie par le FFA, l’avenir du féminisme en Afrique est clairement très brillant.
L’auteur souhaiterait remercier sa collègue Massan D’Almeida pour sa contribution dans l’élaboration de cet article.
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.