DOSSIER DU VENDREDI: En Afrique, les personnes LGBTQI sont confrontées à de nombreux obstacles de type civil, politique, économique, social et culturel. L’AWID s’est entretenue avec Hakima Abbas, Directrice Exécutive du Fahamu pour aborder les défis rencontrés par l’activisme LGBTQI et l’impact de la politique de l’aide étrangère.
Cet article fait partie d’une série de Dossiers du Vendredi portant sur des problèmes et sur des débats liés au thème du Forum AWID 2012 et établissant les liens entre les questions des droits des femmes et le pouvoir économique. Pour plus d’information relative à la sexualité, cliquez ici.
Par Kathambi Kinoti
AWID: Les droits des LGBTQI connaissent actuellement de nombreux revers en Afrique, quels sont aujourd'hui les risques les plus sérieux ?
Hakima Abbas (HA): Les risques encourus par les personnes LGBTQI, les défenseur-e-s des droits humains et les activistes de la justice sociale qui œuvrent en faveur de l'égalité et de la libération des LGBTQI sont considérables: la menace de violence ou la violence réelle, les répercussions sociales et économiques - perte du logement, expulsion des institutions d'enseignement, aliénation de la famille et de la confession religieuse. Vivre dans un milieu où règnent l’oppression et la violence à l'encontre des LGBTQI, où l’hétérosexualité patriarcale et capitaliste est prédominante, normalisée et omniprésente dans le langage, la représentation culturelle, les systèmes éducatifs, les pratiques des institutions publiques et la gouvernance entraîne des traumatismes psychologiques incalculables pour ces derniers.
Nous devons être attentifs à la montée des fondamentalismes et de l'oppression au sein de nos communautés, de nos états et de nos continents. En effet, cette menace ne concerne pas seulement les LGBTQI mais tout groupe marginalisé et vulnérable. Nous ne pouvons pas nous permettre d'ignorer la persécution d'un groupe de personnes, quel qu'il soit.
AWID: Pouvez-vous nous préciser la façon dont les droits économiques et sociaux des personnes LGBTQI sont affectés ?
HA: Quand nous parlons de LGBTQI africains, nous faisons référence à une majorité de gens opprimés sur le plan économique, qui sont exclus d’un ensemble de droits économiques et sociaux, comme le droit à l'éducation, au logement et aux services de santé de base, comme conséquence directe de leur orientation sexuelle et identité de genre. Cette situation est encore aggravée par d'autres facteurs tels que la classe sociale, l'ethnie ou la race. Ces personnes font donc l'objet d'oppressions multiples.
La criminalisation constante et l'oppression appuyée par l'État dont elles sont victimes encouragent l'impunité généralisée. La police, la législation et les tribunaux continuent de perpétuer et d'intensifier les différents types d’oppression à l’encontre des LGBTQI, raison pour laquelle ces personnes s’abstiennent d’avoir recours à la justice.
Par le discours violent et constant des politiciens africains et des présumés dirigeants d'institutions religieuses ou culturelles, les personnes et les communautés LGBTQI d'Afrique se voient refuser l'identité culturelle africaine, sont exclues de l'histoire de leur communauté culturelle, linguistique et ethnique ou sont considérées comme pécheresses/pécheurs et condamné-e-s, puis mises à l’écart de leur confession religieuse. Toutefois, les LGBTQI africain-e-s résistent et réclament ces identités, donnent leur propre version de leur vécu et de leur contribution, remettent en question l'interprétation des textes, vont au-delà de la tolérance et exigent la libération et créent des expressions culturelles et des façons de refléter leurs multiples identités.
AWID: Quels ont été les progrès accomplis en matière de promotion et de protection des droits des LGBTQI ?
HA: Il est difficile d'évaluer la contribution du mouvement dans ce domaine, car il reste insuffisant pour modifier les lois et les politiques, ou pour obtenir des droits pour les communautés ou les personnes LGBTQI isolément des identités multiples des LGBTQI africain-e-s. Accorder la priorité à une liberté plutôt qu'à une autre ne fonctionne pas. Les femmes ont attendu d'obtenir la libération nationale et aujourd'hui elles combattent encore l'oppression patriarcale.
Néanmoins, des progrès notables ont été accomplis en Afrique en termes de lutte pour l'égalité des LGBTQI. La Constitution sud-africaine a créé un cadre permettant d'unifier les combats. La coalition de la société civile de l'Ouganda a permis de consolider de larges coalitions pour dénoncer la régression démocratique résultant de la législation répressive et criminelle ciblée contre les personnes et les communautés LGBTQI. Les mouvements kényans ont acquis une grande visibilité en proposant des programmes de changement.
Un front progressiste panafricain qui considère la question de l’allosexualité (queer) comme étant à l'avant-garde de la mouvance politique de gauche ne cesse de se développer et d'élaborer des stratégies pour lutter contre l'agression conservatrice et fondamentaliste. Actuellement, la résistance est claire et visible. Dans la plupart des pays, il devient pratiquement improbable qu'une attaque puisse être perpétrée sans être suivie d'une réponse et d'une action à l'échelle de l'Afrique. Ces progrès sont le fruit de la ténacité des activistes LGBTI et de leurs alliés dans toute l'Afrique.
Malheureusement, ces avancées restent fragiles et vulnérables face, par exemple, à la pression de politiciens opportunistes, ou au journalisme médiocre à la recherche de sensationnalisme. Pour s'affirmer dans cette progression, le mouvement doit continuer à forger de solides alliances entre les divers groupes d'Africains et de mouvements pour la justice sociale.
AWID: Comment les partenaires manifestent-ils leur soutien aux mouvements ou le respect des droits des LGBTQI en Afrique ?
HA: L'authentique solidarité est fondée sur la notion de destin commun: personne ne sera libre tant que nous ne serons pas toutes et tous libres. Le soutien accordé doit permettre aux mouvements LGBTQI de déterminer la modalité, la teneur et la direction de la solidarité et d'appeler les alliés à l'action.
Le mouvement féministe africain et d'autres partisans de la justice sociale en Afrique ont joué un rôle clé dans le soutien accordé au mouvement LGBTQI mais beaucoup reste à faire pour unifier les combats. La question de savoir si le discours sur les droits humains doit inclure les thèmes liés aux LGBTQI n'est pas encore résolue. Néanmoins, les gens sont de plus en plus conscients que le ciblage des communautés et des personnes LGBTQI s'inscrit dans le cadre plus large d'une régression de la démocratie et d'une montée des fondamentalismes.
La prise de conscience critique et l’éducation politique peuvent contribuer à orienter les conversations avec une vaste gamme de partenaires qui sont déterminants pour parvenir à un changement d'attitude et de comportement. De même, la visibilité et la reconnaissance croissantes des contributions des activistes et des communautés LGBTQI aux combats qui sont considérés comme externes aux questions liées aux LGBTQI, tels que l'assainissement et le logement adéquat, le chômage et la souveraineté alimentaire, contribueront au développement d'alliances et de la solidarité, et donc au renforcement des mouvements. Certaines grandes actions transversales ont déjà lieu telles que les récentes manifestations organisées pour dénoncer la brutalité kanjo à Nairobi.[i]
En ce qui concerne la solidarité transnationale avec des organisations du Grand Nord, il semble que nous ayons perdu la pratique d'analyser et d'évaluer la solidarité sur la base de la définition de Samora Machel.[ii] Le paradigme du développement tend à favoriser une action désunie, ainsi que la « consultation » avec les plus touchés. Et pourtant, une condition nécessaire à une authentique solidarité est précisément le leadership et la pleine participation des groupes concernés. La solidarité ne peut renforcer la dynamique du pouvoir oppressif. [iii]
AWID: Quel est le rôle de l'aide étrangère dans le soutien des mouvements de défense des droits des LGBTQI ?
HA: L'aide et le soutien étrangers ont permis de financer de nombreuses organisations et actions de LGBTQI dans tout le continent. Toutefois, le pourcentage de l'aide étrangère totale consacré aux problèmes, mouvements ou actions des LGBTQI est infime. Le mouvement LGBTQI d'Afrique connaît les mêmes problèmes de financement que tous nos mouvements progressistes et s’est considérablement développé malgré un financement relativement réduit.
Selon l'étude «The Global Gaze » réalisée par des Bailleurs de fonds pour les questions de LGBTQI, 11 millions de dollars US seulement ont été consacrés par les fondations privées, les donateurs bilatéraux et autres aux problèmes concernant les LGBTQI en Afrique (pas nécessairement à des organisations africaines, car ce chiffre inclut également des projets d'organisations du Grand Nord sur l'Afrique). Les promesses grandioses de soutien sont souvent en première page des médias, mais l'impact ou la visibilité de ces fonds est pratiquement imperceptible pour les groupes de base en Afrique. Il existe pourtant une perception erronée et largement répandue qui vient renforcer le faux discours homophobe selon lequel l’”homosexualité” est une importation de l’Occident et que des fonds considérables sont acheminés vers l'action en faveur des LGBTQI.
Selon cette même étude, 52% du total des fonds destinés aux LGBTQI dans le Grand Sud et en Orient a été consacré à l'action en faveur des droits humains, le deuxième thème en termes de volume des fonds étant les actions liées au VIH/Sida (14,9%). D’autres domaines cruellement déficitaires pour les LGBTQI en Afrique sont l’éducation et les possibilités de travail (dans une vaste gamme de domaines), ainsi que l’accès à un éventail de services sociaux et de santé (non limités à la santé sexuelle). La communauté de base, celle qui organise, qui mène une action directe, qui milite sur le plan juridique et qui développe la solidarité, reste largement sous-financée.
AWID: Le Premier Ministre du Royaume-Uni et la Secrétaire d’État américain ont récemment laissé entendre que leurs pays pourraient suspendre l’aide accordée aux pays qui ne respectent pas les droits des LGBTQI. Qu’en pensez-vous ?
HA: Pour analyser si l’aide doit être utilisée ou non suivant la méthode « de la carotte ou du bâton pour protéger et promouvoir les droits humains, il faut d’abord se demander si l’aide en soi profite effectivement aux personnes visées par la conditionnalité. Étant donné que l'aide et la crise de la dette ont ruiné les économies africaines, les services sociaux et l'autodétermination, l'architecture de l'aide et du développement doit être remise en question pour sa violation systémique des droits des « pauvres et vulnérables ». La dépendance engendrée par ce système mondial signifie que l'aide continue à servir de béquille aux pays africains. Il semble paradoxal de se demander si la conditionnalité de l’aide peut être utilisée pour garantir le respect des normes et des obligations en matière de droits humains de la part des états. Étant donné le volume du financement en question on peut également se demander quel serait le degré d'efficacité d'un tel retrait de l'aide.
La question de savoir s'il faut avoir recours ou non à la suspension de l'aide doit être tranchée par la communauté africaine de LGBTQI et ne doit pas faire l'objet de déclarations unilatérales globales.
Certain-e-s activistes africain-e-s ont manifesté leur préoccupation quant à l'utilisation de la conditionnalité de l'aide pour favoriser la protection des droits LGBTQI, notamment:
La décision de suspendre l'aide fait fi du rôle de l'action des mouvements africains et fait surgir le risque d'une réaction contraire vis-à-vis des LGBTI;
Les sanctions appliquées par les donateurs renforcent la dynamique des rapports de force déjà inégaux entre le Grand Nord et le Grand Sud;
Le traitement séparé des questions liées aux LGBTI renforce l'idée selon laquelle les droits des LGBTI sont des droits spéciaux et le concept selon lequel l'homosexualité est quelque chose qui intéresse l'Occident;
Cette perspective ne tient pas compte de l'histoire du colonialisme et de la sexualité;
La réduction de l'aide aura un impact sur tous les Africains (quel que soit leur degré de « ciblage »), et en particulier les groupes marginalisés et vulnérables comme les LGBTI.
[i] Le harcèlement des officiers paramilitaires de la municipalité de Nairobi à l'encontre des vagabonds et des marchands ambulants.
[ii] Le premier président du Mozambique a affirmé: « La solidarité internationale n'est pas un acte de charité: c'est un acte d'unité entre des alliés qui luttent sur différents terrains pour parvenir au même objectif. »
[iii] Voir la déclaration du collectif féministe iranien Raha: http://www.pambazuka.org/en/category/features/80345#.T1CZ0imUZEI.facebook
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.