DOSSIER DU VENDREDI: L’activiste iranienne des droits des femmes, SussanTahmasebi, explique à l’AWID quelle est sa position vis-à-vis du nouveau Président iranien, Hassan Rouhani, et des éventuelles incidences de ce nouveau gouvernement pour les femmes iraniennes.
Par Rochelle Jones
Hassan Rouhani vient d'être élu à la présidence de l'Iran le 15 juin dernier; il succède ainsi à Mahmoud Ahmadinejad qui s'est caractérisé par son hostilité envers la communauté internationale, son mépris des droits humains et, en particulier, ses atteintes contre les droits et des libertés des femmes. Rouhani, qui a assumé ses fonctions le 3 août, est décrit comme un homme politique plus modéré qui s'est engagé à améliorer les relations internationales, à oeuvrer à l'élimination de la discrimination et à promouvoir les droits des femmes.
L’élection de Rouhani a donné lieu en Iran à un climat d'optimisme et, dans la foulée, à des pressions sur les promesses à tenir et les attentes de l'opinion publique. Certaines organisations des droits humains telles que la Campagne Internationale pour les Droits Humains en Iran (disponible en anglais seulement) etAmnesty International ont publié une série de recommandations demandant au gouvernement de Rouhani de prendre des mesures correctives en termes d’ampleur et de profondeur des violations des droits de l’homme qui restent d’actualité.
Un environnement politique plus propice pour les femmes ?
En ce qui concerne les droits des femmes, l'humeur peut être qualifiée d'optimisme prudent. Dans une entrevue accordée la semaine dernière à l’AWID, Sussan Tahmasebi[i], activiste iranienne qui travaille depuis plus de dix ans à la promotion des droits des femmes et au renforcement de la société civile en Iran, a signalé que les femmes souhaiteraient deux choses: En premier lieu, que les politiques appliquées par le gouvernement d’Ahmadinejad réprimant les femmes soient annulées et, en deuxième lieu, que des mesures soient adoptées au plus tôt pour promouvoir les droits des femmes, comme, par exemple, une réforme du système juridique assurant aux femmes l'égalité des droits, l'accès à l’emploi et à diverses possibilités sociales.
« Les femmes se sont rendues aux urnes essentiellement pour les mêmes raisons que d'autres Iraniens. Elles ont voulu voter pour un candidat qui a promis d'adopter des politiques modérées à l'échelon national [et], à l'échelon international, de rompre l'isolement international de l'Iran, de chercher à faire lever les sanctions et d'améliorer l'économie. L'un des principaux souhaits [des femmes] est que les sanctions économiques soient levées, en raison de leur impact très négatif sur la population iranienne, en particulier sur les femmes ».[ii]
« Lorsque la révolution s’est produite il y a plus de 30 ans, les autorités se sont prononcées pour une interprétation conservatrice de la charia qui a considérablement limité les droits des femmes. Cependant, celles-ci ont considérablement progressé au cours de ces trente dernières années dans le domaine social, même si ces progrès ne sont pas reconnus juridiquement. Dans les universités, les femmes ont atteint des postes supérieurs à ceux des hommes, et nous avons des femmes avocates, médecins et parlementaires. Durant le gouvernement d’Ahmadinejad, les progrès sociaux des femmes ont été directement visés, dans le cadre d'une idéologie selon laquelle les femmes devraient avant tout assumer les rôles de mères et d'épouses, rôles auxquels il a lui-même porté atteinte en présentant la loi sur le soutien à la famille qui assouplissait les restrictions imposées à la polygamie. D'autres mesures politiques ont également été adoptées [telles que], l'imposition de quotas limitant la présence des femmes dans les universités, un renforcement du programme de protection sociale portant sur les codes vestimentaires des femmes dans les lieux publics, une promotion du mariage précoce, la fin des programmes de planification familiale, ainsi que des attaques massives à l'encontre des femmes défenseures des droits humains promouvant l'égalité. Les droits des femmes ont subi un sérieux recul ».
Rouhani a formulé publiquement certaines promesses en matière de droits des femmes. Tahmasebi cite, parmi celles-ci: mettre fin à la ségrégation dans les universités qui avait été mise en oeuvre par Ahmadinejad, favoriser les possibilités d'emploi pour les femmes et aborder le thème des lois discriminatoires à l'égard des femmes sur le marché de l'emploi. Rouhani a également évoqué la possibilité de relâcher les restrictions sur le code vestimentaire des femmes, même si Tahmasebi ne croit pas que cela conduise à l’élimination du port obligatoire du Hijab: « Ceci va probablement se traduire par un léger recul de la présence de la police des moeurs dans les rues… En fait, il ne peut probablement pas faire grand-chose pour permettre la liberté des femmes en matière d'habillement. C'est un sujet très imprégné d'idéologie. Mais je pense qu'il peut éliminer certaines restrictions et faire en sorte que les femmes ne puissent plus être détenues dans les rues pour des raisons vestimentaires ».
Consolidation et renforcement des mouvements de femmes iraniennes
Selon Tahmasebi, le mouvement des femmes iraniennes peut, dans le contexte de ce nouvel environnement politique, tenir ouvertement des réunions et formuler des revendications. La situation était très différente pendants les quatre dernières années du gouvernement d'Ahmadinejad durant lesquelles le mouvement avait pratiquement cessé toute activité publique. « Bien qu’actives, les femmes ne pouvaient pas s’exprimer. L'espace social disponible pour l'activisme était beaucoup plus restreint et il y avait beaucoup d'incertitudes sur l'avenir. Certaines étaient liées à la répression, d'autres à la mauvaise situation économique, et d'autres encore, à un sentiment général de désespérance. Je pense que les activistes du mouvement des femmes s'attendent [aujourd'hui] à ce que de nombreuses restrictions soient levées, conformément aux promesses faites par Rouhani de permettre le libre fonctionnement de la société civile ».
Tahmasebi décrit un collectif de groupes indépendants de femmes iraniennes, composés de personnes n'ayant aucune affiliation avec l'État, qui se rencontrent régulièrement depuis l'élection et qui gagnent peu à peu du terrain. Il s'agit « d'activistes qui ont connu un repli important au cours des dernières années, mais qui se sont rencontrées de façon permanente pour essayer de voir ce qu'elles peuvent faire, ce qu'elles veulent faire et comment elles doivent évoluer dans ce nouvel environnement ».
Les négociations sur le terrain parfois difficile d'une future collaboration constituent ce que Tahmasebi appelle la « composante majeure de ces discussions ». Ces difficultés sont en partie le résultat de la main de fer imposée par Ahmadinejad sur la société civile et qui s'est traduite par un activisme limité, mais aussi de l'hétérogénéité du mouvement: « Au cours des quatre dernières années, les groupes se sont [contractés], l'heure est venue pour eux de discuter aujourd'hui de comment ils peuvent concevoir des actions collectives de plus grande envergure de façon consensuelle et d'une manière qui convienne à tout le monde. Ils tentent également de résoudre certaines de leurs divergences, ce qui me semble absolument essentiel, en particulier après huit ans de fonctionnement dans une optique de sécurité où le conflit est de plus en plus extrême… De nombreuses collègues de la Campagne pour [Un Million de Signatures] font partie de ce groupe… Beaucoup d'entre elles sont de jeunes activistes qui sont aujourd'hui en mesure de prendre la tête d'actions collectives. »
La Campagne pour [Un Million de Signatures]avait pour but de mobiliser l'attention sur et de modifier la législation sexiste en Iran; même si le but d'un million de signatures n'a pas été atteint, Tahmasebi affirme que cette campagne a eu un impact direct sur la société civile iranienne en favorisant d'autres évolutions positives. Par exemple, elle a contribué « à attirer une nouvelle génération d'activistes au sein du mouvement, à renforcer la capacité des jeunes activistes, [et] à favoriser certains changements dans la législation … Naturellement, l'environnement politique durant le gouvernement d’Ahmadinejad a été particulièrement négatif pour promouvoir certains de ces droits. Il est intéressant de noter que la demande d'égalité et de réformes juridiques est aujourd'hui une revendication fréquente de tous les secteurs. Dans une entrevue récente, Zahra Eshragh, la petite fille de l’Ayatollath Khomeini, a affirmé que la réforme juridique est un objectif absolument prioritaire. L’un des aboutissements de la Campagne a été la création du discours sur l'égalité des droits, qui est aujourd'hui monnaie courante. »
À la question de savoir si les activistes du mouvement des femmes faisaient confiance aux promesses de Rouhani, Tahmasebi signale : « Nous allons devoir attendre et voir si ces promesses se traduisent par un engagement réel vis-à-vis des droits des femmes ». Rouhani peut, par exemple, « présenter des projets d'amendement de la législation au parlement, mais les projets en question doivent d'abord être acceptés à l'échelle parlementaire, et toute demande d'amendement législatif doit également recevoir l'approbation du Conseil des gardiens avant que ces amendements ne soient définitivement adoptés. Par conséquent, le décideur final n'est pas Rouhani, bien que ce dernier puisse adopter des mesures positives ».
Personnellement, Tahmasebi se réjouit que Rouhani ait nommé une femme au poste de Vice-président, Elham Aminzadem ainsi que la première femme porte-parole du ministère des affaires étrangères et la première femme ambassadeur auprès des Nations Unies. Elle souligne toutefois que la nomination de femmes à des postes de pouvoir rencontre encore beaucoup de résistance: « Un des arguments invoqués contre les femmes est…'Sont-elles qualifiées ?' Dans le cas du ministère des affaires étrangères, par exemple, je pense qu’elles sont probablement tout aussi qualifiées, si pas plus, que les hommes, car elles sont soumises au même processus rigoureux de formation. Elles font partie des effectifs, mais n'occupent pas de hautes positions. Il y a donc définitivement une résistance à la progression des femmes dans l'échelle hiérarchique ».
Les deux femmes nommées au sein du ministère des affaires étrangères ont également suscité la controverse par leur utilisation du hijab. « Elles portent le voile noir intégral… Je ne sais pas si cela répond à une norme du ministère des affaires étrangères, mais cela est certainement une pratique coutumière. Les conservateurs [affirment] qu'elles doivent observer le port du hijab si elles représentent l'Iran devant l'opinion publique et à l'échelle internationale mais, par ailleurs, elles ont fait l'objet de commentaires très critiques sur des sites de médias sociaux comme Facebook selon lesquels elles ne représentent pas les femmes iraniennes ni leur façon de s’habiller. [Ce sont] deux positions sexistes et extrêmes quant au rôle de leadership que les femmes peuvent assumer qui vont au-delà des arguments habituels de leurs qualifications. Je pense, personnellement, qu'il s'agit d'une grande opportunité, à la condition qu'elles soient progressistes et positives en matière de droit des femmes et que les autorités reconnaissent l'importance fondamentale des positions qu'elles assument pour contribuer à la progression des femmes et les aider à rompre ces plafonds de fer ».
Rouhani a promis la création d'un Ministère des femmes, proposition sur laquelle il convient également d'attendre pour voir si cette promesse se concrétise. Tahmasebi signale que certaines activistes des droits des femmes sont assez réticentes à l'idée d'un Ministère des femmes car elles craignent que cela contribue à un cloisonnement des problèmes des femmes, en ajoutant que « ce serait une mesure positive dans la mesure où elle est accompagnée d'une intégration des politiques sur l'égalité des genres, qui exigerait, par exemple la création d'un poste de vice-ministre dans chaque ministère où sont traités les problèmes d'égalité des genres ».
L'élection de Rouhani est encourageante, mais les défenseur-e-s des droits des femmes doivent saisir les opportunités qui se présentent
« Je pense que cette élection ouvre la voie au dialogue et aux échanges…à la communication et à la collaboration entre la société civile et le gouvernement. Mais je ne compte pas seulement sur lui, sur son gouvernement ou n'importe quel autre gouvernement pour promouvoir et faire avancer les droits des femmes. L'évolution future de la situation sous la présidence de Rouhani va dépendre largement, voire entièrement, de la façon dont les femmes vont saisir cette opportunité [et] aussi de la manière dont nous nous présentons à l'opinion publique pour créer une dynamique… Je n'attends pas de miracle du gouvernement de Rouhani, mais s'il lève les restrictions imposées à la société civile, comme il l'a promis, nous aurons une chance de plaider en faveur des droits des femmes ».
« C'est en réalité la société civile qui va faire pression en faveur des changements et l'attention que prêteront les fonctionnaires gouvernementaux à tout changement juridique et l'inclusion des femmes sera le résultat des efforts du mouvement des femmes. Qu'il s'agisse de femmes conservatrices qui prônent la nomination de femmes au plus haut niveau ministériel ou du mouvement indépendant de femmes qui fait pression pour obtenir des changements dans la législation, cette évolution est l'aboutissement des efforts du mouvement des femmes. Chacun exprime sa position et affirme s'engager ou non sur cette voie, mais ce débat montre que chacun, y compris au sein du gouvernement, reconnaît l'égalité et l'inclusion des femmes comme un objectif prioritaire et une revendication qui exige une réactivité. C'est à nous, en tant que mouvement des femmes, que revient la responsabilité de veiller à ce que cette réactivité se traduise par des résultats concrets et des garanties pour toutes les femmes.
Traduit par Monique Zachary
[i] SussanTahmasebi est une activiste iranienne, membre fondatrice de la campagne pour Un million de signatures, née d’un effort local pour accroître la sensibilisation sur les droits des femmes et réunir des signatures d'Iraniens et d'Iraniennes demandant l'élimination des lois contraires à l'égalité des genres. Elle est également cofondatrice du Réseau international de la société civile (ICAN), une ONG internationale qui soutient l'activisme de la société civile en faveur des femmes en termes de droits, de paix et de sécurité dans les pays touchés par des conflits ou en transition. Tahmasebi travaille actuellement aux États-Unis où elle est directrice du programme de l’ICAN pour la région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord/d’Asie, qui cherche à divulguer les informations relatives à la situation des femmes dans la région au sein de la communauté politique internationale; garantir que les voix des femmes soient entendues à l'échelon politique international; renforcer le travail en réseau et la solidarité à l'échelle régionale, ainsi que le partage d'expériences et de connaissances entre les activistes de la région; et soutenir le développement de la société civile.
[ii] Voir la note (disponible en anglais seulement) publiée par le Réseau international de la société civile (ICAN) sur la position des activistes des droits des femmes vis-à-vis des sanctions économiques.