Ester Lopes est une danseuse et une écrivaine dont les recherches portent sur le corps, le genre, la race et les rapports de classe. Elle est professeure de Pilates et enseigne l’art. Ester est diplômée en théâtre contemporain – processus créatifs (à la FAINC) et en danse et conscience du corps (à l’USCS). Parmi ses spécialisations musicales figurent le chant populaire et les percussions. Elle a suivi une formation à Novos Brincantes avec Flaira Ferro, Mateus Prado et Antonio Meira à l’Institut Brincante en 2015 et 2016.
Mariam Mekiwi est une cinéaste et photographe originaire d’Alexandrie qui vit et travaille à Berlin.
El Nemrah
Mercredi une note arrive
avec une adresse au dos.
17 h, ce soir.
L’écriture sur l’invitation—
frêle et brusque—
je l’ai vue cinq fois en cinq ans.
Mon corps se réveille,
fébrile.
Je dois d’abord me baiser moi-même.
La marée est haute ce soir et
je
jouis.
Je veux tout ralentir,
goûter le temps et l’espace, les graver
en mémoire.
*
Je ne suis jamais allée dans cette partie de la ville auparavant.
Les endroits inconnus m’excitent,
la façon dont les membres et les veines et les os
résistent à la pourriture,
leur sort incertain.
Arrivée à la porte, je réfléchis à deux fois.
Le couloir est tout noir
et ça me fait faire une pause.
De l’autre côté,
un portail d’odeurs et de couleurs
s’ouvre comme une malédiction,
dans un après-midi ensoleillé.
La brise
fait danser mes cheveux,
pique leur curiosité,
les obligent à se déplacer.
J’entends le fauteuil roulant vrombir,
façonnant les ombres.
Puis je les vois :
un visage de lynx
et un corps comme le mien
et je me retrouve à désirer les deux
de nouveau.
La créature me fait signe d’approcher.
Ses gestes écrivent une phrase;
tandis que je m’avance,
je note ses détails :
flétrir, chair, bonheur
À sa commande, la vigne recouvre le couloir
étreignant des pierres chaudes,
serpentant le long du mur.
Cela devient un verbe,
« escalader »,
et je suis réorientée quand leurs griffes pointent
vers le lit de vigne au centre.
J’entends les roues derrière moi,
puis ce son.
Il résonne
comme aucun autre.
Ses longues ailes noires
montent vers le plafond
puis iel se précipite vers l’avant.
La vision féline scrute chaque détail,
chaque changement,
chaque désir.
Le désir peut-il liquéfier vos muscles?
Peut-il agir plus doux que le
plus puissant des tranquillisants?
Un lynx coud le monde
à travers nos différences,
tissant de la dentelle autour de mes genoux.
Le désir peut-il écraser la distance du monde, comprimant les secondes?
Iel se rapproche encore,
oeil de lynx rencontrant oeil humain,
reniflant l’air,
transformant le corps en
urgence.
Iel a battu des ailes.
Remuées,
les vignes s’emmêlent autour de ma taille/de mes pertes.
Sa langue amincit le temps,
terrains mouvants,
apaise, avec sa magie,
ce qui remue dessous.
Je vois le monde en toi,
et le monde est épuisé.
Puis iel plaide :
Laisse-moi me régaler de toi.