Domaines prioritaires

Aider les mouvements féministes, en faveur des droits des femmes et de la justice de genre à être un élément moteur de l’opposition aux systèmes d’oppression et à co-créer des réalités féministes.

Construction d’économies féministes

La construction d’économies féministes a pour objet de créer un monde où l’air est respirable et l’eau buvable, où le travail est significatif et où nous bénéficions de soins pour nos communautés et nous-mêmes, où chacun-e peut jouir de son autonomie économique, sexuelle et politique.  


Dans ce monde où nous vivons aujourd’hui, l’économie continue de s’appuyer sur le travail de soins non rémunéré et sous-évalué des femmes au service des autres. La poursuite de la “croissance” ne fait que développer l’extractivisme--un modèle de développement fondé sur l’extraction et l’exploitation massives des ressources naturelles, qui continue de détruire les populations et la planète tandis qu’elle concentre les richesses entre les mains des élites mondiales. Parallèlement, l’accès aux soins de santé, l’éducation, les salaires décents et la sécurité sociale sont réservés à une poignée de privilégiés. Ce modèle économique repose sur la suprématie blanche, le colonialisme et le patriarcat.

En adoptant la seule « approche pour l’autonomisation économiques des femmes», on ne fait guère qu’intégrer davantage les femmes dans ce système. Cela peut constituer un moyen temporaire de survie. Nous devons semer les graines d’un nouveau monde possible pendant que nous abattons les murs du monde existant.


Nous croyons en la capacité des mouvements féministes à créer de vastes alliances entre mouvements qui leur permettent d’oeuvrer pour le changement. En multipliant les propositions et visions féministes, nous cherchons à construire les nouveaux paradigmes d’économies plus justes.

Notre approche doit être interconnectée et intersectionnelle, car nous ne pourrons jouir d’aucune autonomie sexuelle et corporelle tant que chacun·e d’entre nous ne jouira pas de ses droits économique ni d’une autonomie financière. Nous voulons travailler avec celles et ceux qui s’opposent à la montée mondiale de la droite conservatrice et des fondamentalismes religieux et la contrent, car tant que nous n’aurons pas ébranlé les fondements même du système actuel, aucune économie ne saura être juste.


Nos Actions

Notre travail conteste le système de l’intérieur et met en évidence ses injustices fondamentales.

  • Promouvoir des programmes féministes : Nous nous opposons au pouvoir des entreprises et à l’impunité concernant les violations des droits humains en travaillant avec des allié-e-s afin de nous assurer que les perspectives féministes, relatives aux droit des femmes et à la justice de genre sont intégrées dans les espaces politiques. A titre d’exemple, vous pouvez vous informer sur le futur instrument juridiquement contraignant concernant “les sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits humains” au Conseil des droits humains des Nations Unies.

  • Mobiliser des actions solidaires : Nous oeuvrons à renforcer les liens qui existent entre les mouvements féministes et les mouvements en faveur de la justice fiscale, y compris à réclamer les ressources publiques perdues à cause de flux financiers illicites afin de garantir une justice de genre et sociale.

  • Enrichir nos connaissances : Nous fournissons aux Défenseuses des droits humains (WHRD) des informations stratégiques qui s’avèrent vitales dans la lutte contre le pouvoir des entreprises et l’extractivisme. Nous contribuerons à développer une base de connaissances autour du financement local et mondial et les mécanismes d’investissements qui alimentent l’extractivisme.

  • Créer et élargir les alternatives : Nous participons et mobilisons nos membres et nos mouvements à envisager des économies féministes et à partager nos savoirs, nos pratiques et nos programmes féministes en faveur d’une justice économique.


« La révolution corporative s’effondrera si nous refusons d’acheter ce qu’ils nous vendent: leurs idées, leurs versions de l’histoire, leurs guerres, leurs armes, leur notion d’inéluctabilité. Un autre monde est non seulement possible, mais il est aussi déjà en bonne voie. Quand tout est tranquille, je peux l’entendre respirer. » Arundhati Roy, War Talk.

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Leila Hessini

Biography

Leila est une dirigeante, défenseuse et conseillère féministe transnationale qui compte plus de 25 ans d'expérience dans la promotion des droits humains, de l'égalité des genres et de la santé et des droits sexuels et reproductifs, ainsi que de la justice au niveau local et mondial. Née en Algérie, Leila a fait ses études aux États-Unis, en France et au Maroc. Au cours de sa carrière professionnelle, elle a vécu et travaillé en Afrique, en Europe et aux États-Unis.  

Elle a occupé le poste de vice-présidente des programmes au Fonds mondial pour les femmes (GFW) pendant plus de cinq ans, où elle a supervisé son octroi de subventions stratégiques, le renforcement des mouvements, le plaidoyer mondial et les collaborations philanthropiques.  Au sein du GFW, elle a doublé le montant de ses subventions pour atteindre plus de 17 millions de dollars, a lancé son travail sur les mouvements et les crises féministes et axées sur le genre, a créé un programme pour les adolescentes dirigé par un conseil consultatif de filles et a dirigé son travail de plaidoyer philanthropique.  Avant cela, elle a fait partie de l'équipe de direction d'Ipas de 2002 à 2016, où elle a publié de nombreux articles sur le droit à l'avortement et la justice, dirigé des actions de plaidoyer mondiales et établi des partenariats avec des groupes féministes travaillant sur l'autogestion, la mobilisation communautaire et la réduction de la stigmatisation autour de l'intégrité corporelle et des droits sexuels et reproductifs.  Alors qu’elle était basée en Afrique du Nord, elle a cofondé une société de conseil féministe intersectionnelle, Strategic Analysis for Gender Equality (SAGE), qui travaillait sur les intersections entre l'économie, le genre et les droits sexuels et reproductifs, et a dirigé le travail national, régional et mondial sur le genre du bureau du Caire de la Fondation Ford pendant 5 ans. 

Leila dispose d'une vaste expérience dans les domaines de l'éducation populaire, le plaidoyer, l'organisation à but non lucratif, le développement de conseils d'administration, la philanthropie et le suivi et l'évaluation. C'est une communicatrice compétente qui privilégie une approche intersectionnelle pour centrer et amplifier les voix et les expériences des personnes les plus marginalisées.  Elle a reçu la bourse Op-ed Public Voices de la Fondation Ford et a été boursière Fulbright au Maroc.  Ses publications couvrent un large éventail de sujets, notamment les approches féministes et décoloniales de la philanthropie, la promotion des droits humains des femmes dans les contextes majoritairement musulmans, les stratégies féministes visant à promouvoir la justice reproductive, la promotion du recours des femmes aux avortements autogérés et la lutte contre la stigmatisation et la discrimination. 

 Leila est actuellement coprésidente du conseil du Center for Constitutional Rights et membre du conseil de Highlander Research and Education. Elle fait également partie du conseil de responsabilité du Numun Feminist Technology Fund et du comité consultatif de la Plateforme des femmes défenseuses des droits humains d'Afrique.  Elle a précédemment siégé aux conseils d'administration de SisterSong Women of Color Reproductive Justice Collective, du Réseau mondial des femmes pour les droits sur la reproduction, du Fonds mondial pour les femmes, du Safe Abortion Access Fund et du Reproductive Health Technologies Project. Elle a été élue trésorière et membre du comité exécutif du conseil d'administration de Prospera et a siégé au comité directeur du Fonds Fenomenal pendant quatre ans. Leila est titulaire d'une maîtrise en santé publique et d'une maîtrise en études sur la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, a étudié le droit islamique au Maroc et a poursuivi des études doctorales en sociologie en France. Elle a étudié l'arabe et l'allemand et parle couramment le français et l'anglais.

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Une conversation qui émeut

Merci, Ángela et Pilar

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Yannia Sofía Garzón Valencia Portrait

Yannia Sofía Garzón Valencia: Je suis une femme noire et une tisserande communautaire. Je vis à Santander de Quilichao dans le Cauca, en Colombie. Je m’intéresse aux processus créatifs autour desquels s’organise une vie collective durable. J’aime échanger des idées et cuisiner, faire des recherches et analyser, planter des graines et apprendre des plantes, lire et jouer. Je coordonne actuellement l’Observatoire des violences fondées sur le genre à l’encontre des communautés afro-descendantes en Colombie (@VigiaAfro).


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Nous « partagions » toutes les trois l’après-midi dans un quartier du sud de Bogotá.

Il y avait une aire de jeux verte particulièrement grande, et nous étions assises sur de petits tabourets de bois sous un grand sureau. Nous faisions enfin l’expérience de cette autre forme d’amour – ce plaisir d’être ensemble et de s’écouter les unes les autres. Pour moi, ce genre de discussion compte parmi les expressions d’amour dont la vie me permettait de profiter depuis peu. Je ne savais pas que cette autre forme d’amour – que l’on trouve en dehors d’ateliers de formation, d’espaces d’activisme, de classes ou de lieux de travail – était possible. Mais nous trois, amies, avons passé l’après-midi entre nous, sans prétendre ne pas remarquer nos couleurs de peau respectives. C’était, au contraire, un facteur vécu qui nous permit de discuter de manière très intime des similitudes et des différences de nos expériences d’enfance et de jeunesse.
 
Ces discussions n’avaient aucun lien avec les prochaines activités du mouvement noir en Colombie, mais elles m’ont néanmoins nourrie et ont acquis de nouvelles significations. Notre intimité découlait de notre rapprochement, notre reconnaissance mutuelle et la perception de nos libérations uniques et individuelles. Et par la prise de conscience qu’il n’y a pas une, mais bien plusieurs voies vers la libération – ces voies que nous incarnions chaque fois que nous disions « non » et nous nous rebellions. Loin de tout malaise, nous nous sommes rencontrées avec une réelle authenticité empreinte de faiblesse et de force, qui nous rapprochait plus qu’elle ne nous séparait.
 
Notre objectif en ce bel après-midi était simplement d’être – d’avoir la conscience d’être simplement entre nous. Nous avons cheminé dans nos passés afin que nos mémoires conservées soient celles que nous avions décidé de garder en nous, et non celles que la peur avait fait entrer et inscrites en nous. Nous nous sommes remémoré des extraits très précis d’émissions de télé et avons chanté des chansons d’artistes qui nous avaient appris à bien aimer, à bien haïr, à jurer comme les pires brigands et à souffrir comme de vraies dames.
 
Nous nous sommes raconté nos mauvais coups à l’école, et ce qui demeurait dans notre subconscient d’avoir été exposées aux nombreuses manières qu’ont les médias de répéter la même chose – et après que les enseignantes et les nonnes à l’école nous aient abreuvées d’histoires nous incitant à nous identifier et à nous approprier les aspirations de Cendrillon pour nos propres vies. Cela donnait le ton pour le reste de notre histoire : le drame de la fille pauvre et affaiblie qui ne s’accomplira entièrement que par un acte qui la sauvera de sa condition. Et cet acte ne pourra que prendre la forme du regard d’un homme qui est, au minimum, blanc, méritant ainsi ce qui est entre nos cuisses – sa « principale aspiration » – et « la réalisation parfaite de nos rêves », ce qui nous était alors enseigné comme étant notre principale aspiration à nous aussi.
 
Nous étions trois, cet après-midi-là. Nous avions chacune été élevée dans une région différente du pays, mais il était absolument fascinant de néanmoins pouvoir citer des extraits de chansons et des situations de séries télévisées, qui – comme nous l’avons compris en apprenant à nous connaître – partageaient des codes ou des symboles répétés, à quelques différences près, dans nos maisons, dans nos premières relations et dans nos quartiers et nos écoles. Élevées par des « drames » (n’est-ce pas ainsi que l’on appelle ce genre si populaire?) dans lesquels plus on souffre plus on est méritante, la question de « comment et dans quelles situations est-il acceptable ou légitime de souffrir » devient un étalon important de la manière dont la personne qui souffre devrait être considérée, ce qu’elle devrait faire et qui elle devrait être. Certaines d’entre nous étions parvenues à nous libérer et à « apprendre » une définition de l’amour qui ne pouvait être apprise qu’à l’âge adulte, brisant toute illusion et acceptant le péché naturel. Et prenant conscience de la production industrielle d’une vierge, à qui nous pouvions refuser de ressembler car elle n’avait pas sa place dans notre entendement, et de la déception qu’apporte cette aliénation.

Après avoir chanté, nous avons examiné nos premières explorations sexuelles. Je n’avais jamais pensé que la plupart des gens en faisaient l’expérience avant l’âge de neuf ans et que, même à l’âge adulte, ces expériences et ces mémoires demeurent un fardeau encombrant. Même aujourd’hui, dans des milliers d’endroits, des millions de filles et de garçons voient leur innocence mise à mal par un manque de confiance et l’ignorance que nous affichons lorsqu’elles et ils tentent d’explorer leur corps. Blâmer la curiosité est un mécanisme de contrôle radicalement efficace. Nous sommes revenues sur les brèves conversations que nous avions eues lorsque nous avons changé l’histoire de nos vies, passant de Noires maudites à une perspective qui nous a permis de renaître. Nous avons évoqué le souvenir du nombre conséquent de tantes et de cousines qui avaient quitté leur maison, leur centre, leurs racines, à la recherche d’un avenir à l’extérieur, ailleurs.
 

« Elle apprit qu’il fallait qu’elle prenne soin de son ventre en gardant ses tissus au chaud, pour éviter le froid qui entre par cette partie plus souple sur le dessus de la tête, par les pieds, par les oreilles, afin de ne pas avoir mal, et particulièrement lorsque l’on a ses règles. Pour ce faire, il faut prêter attention à ce que l’on mange, à la manière dont on s’habille et à la manière dont on marche, car tout cela est en lien avec la santé des filles. »

L’avenir a un coût : il exige que les relations qui ont marqué notre enfance soient refaçonnées et jetées dans l’oubli. Ce sont nos fondations, mais elles ne sont pas pertinentes si nous voulons continuer à avancer. Pour nous, avancer était synonyme d’apprendre par cœur ce que nous nous faisions à nous-mêmes avec les occasions que nous trouvions ailleurs. Parce que c’est ailleurs, et non en nous, que se trouvent ces occasions, que nous sommes disponibles, que nous devons être à l’extérieur. Cependant, pour beaucoup de nos tantes et de nos cousines, le coût des rares occasions de s’inscrire et d’assister à des cours du soir ou de prendre un congé sabbatique du travail domestique était celui de devenir la première expérience sexuelle de proches qui vivaient dans l’avenir. Un avenir pour lequel d’autres avant elles avaient également payé, et dont elles avaient déjà oublié le prix. Cette exigence de paiement arrivait avec la même ponctualité que celle de la facture d’électricité. Nous n’accepterons pas cet héritage.
 
Il y avait, en Colombie et en Amérique latine, un manuel de bonnes manières intitulé La urbanidad de Carreño (Le manuel de bonnes manières de Carreño). Sa lecture était obligatoire dans les écoles publiques et privées jusque dans les années 1990. Ce manuel conditionnait la manière dont les corps étaient perçus et ma mère, accueillie et élevée par des nonnes carmélites, le connaissait par cœur. La première fois que je l’ai lu, j’ai dû m’arrêter à plusieurs reprises pour me frotter le ventre qui me faisait mal tant je riais. Il contient des instructions ridicules telles que : prenez une douche les yeux fermés et éteignez la lumière lorsque vous enfilez votre chemise de nuit. Différents chapitres traitent de la manière de se comporter à la maison, dans la rue, et lors d’un dîner ou d’un déjeuner public – soit les normes du bon goût et du savoir-vivre. La base éthique pour les bons citoyens était l’urbanité qui leur permettait de s’éloigner de la ruralité. Ce même manuel précisait que de saluer un proche de l’autre côté de la rue en criant n’était pas acceptable; les bonnes manières nous dictaient de traverser la rue. De la même manière, les hommes doivent retirer leur manteau et le mettre sur des flaques d’eau lorsqu’ils sont accompagnés par une femme, afin qu’elle ne mouille pas ses chaussures. Je pensais à la manière de saluer quelqu’un de l’autre côté d’une rivière, et au fait qu’il fait si chaud où nous vivons que nous ne portons pas de manteau.
 
L’auteur de ce manuel, Monsieur Carreño, est le contraire du grand-père d’une dame âgée née à Turbo. Elle me raconta un jour que son grand-père était un homme sage, qui lui avait parlé de l’accouchement et de la manière de prendre soin de son corps. Elle apprit qu’il fallait qu’elle prenne soin de son ventre en gardant ses tissus au chaud, pour éviter le froid qui entre par cette partie plus souple sur le dessus de la tête, par les pieds, par les oreilles, afin de ne pas avoir mal, et particulièrement lorsque l’on a ses règles. Pour ce faire, il faut prêter attention à ce que l’on mange, à la manière dont on s’habille et à la manière dont on marche, car tout cela est en lien avec la santé des filles. La femme âgée ajouta que son grand-père dévoué lui avait également enseigné que les crampes étaient plus fréquentes depuis que les sols des maisons n’étaient plus en terre battue ou en bois. Depuis le béton et le carrelage, ces matériaux qui permettaient au froid d’entrer dans la maison par les pieds, les tensions dans les tissus du ventre augmentaient également.
 
Encore une surprise. Il y avait une telle distance entre Don Carreño et le sage grand-père en termes de conscience de la vie – aussi grande que les injonctions à bien se comporter qui brident nos impulsions et nos sens, même le bon sens commun qui valorise la santé. C’est alors que je compris une des manières selon lesquelles le béton empêche la terre de respirer, et nous en empêche également par le fait même. Je n’avais pas réalisé qu’il y avait, et qu’il y a toujours, une architecture et des matériaux pour prendre soin de nos corps. En Colombie, et dans d’autres pays, les matériaux utilisés pour faire des maisons sont des indicateurs d’une pauvreté multidimensionnelle. Une maison construite avec du béton nous éloigne de la perception de la pauvreté. C’est là un simple exemple décevant de la manière dont le progrès nous incite à délaisser la relation entre notre environnement et notre corps. Le bon goût et l’urbanité nous poussent à l’extérieur : pour avancer, mentent-ils, il faut aller là-bas.

« Je compris une des manières selon lesquelles le béton empêche la terre de respirer, et nous en empêche également par le fait même. Je n’avais pas réalisé qu’il y avait, et qu’il y a toujours, une architecture et des matériaux pour prendre soin de nos corps. »

Nous étions embêtées par la prise de conscience que ni nos mères ni nos pères ne nous avaient parlé des menstruations, sauf quand la tache brune avait déjà sali nos culottes. Ils avaient échoué à nous protéger contre la honte qui était supposée être un sentiment naturel lorsque nos menstruations avaient commencé. Et avec les menstruations venaient les crampes souvent supportées en silence, parce qu’il y avait du travail à faire; certaines de ces crampes étaient dues à des kystes, des hématomes ou des fibromes qui avaient tué les grands-mères qui avaient découvert et oublié les traitements de soins, puis s’était oubliées elles-mêmes. L’haleine de nos mères et de nos pères devenait de plus en plus froide, mais l’Extérieur frigorifiait la familiarité et, au lieu de réchauffer nos ventres, exprimait des jugements avec des conseils qui semblaient être des avertissements à propos de la seule chose qui importe aux hommes. Ceci s’appliquait à tous les hommes – légitimant ainsi le rôle de pillage du phallus, comme si sa seule option était de prendre ce que nous avions entre nos cuisses. Les nombreuses versions de cette vérité étaient remplacées par une naturalisation inamovible et fortement ancrée : dire à toutes les femmes que nous devions nous préserver pour l’un d’entre eux, pour celui qui introduira le premier son pénis en nous, pour celui qui nous donnera quelque chose en échange, et que nous sommes des femmes uniquement car nous aspirons à, et nous le laissons le mettre en nous. Quand j’étais une petite fille, j’ai exploré des petits pénis et des petits clitoris et, entre les séances de jeux entre filles, la question chuchotée était : à qui le tour de jouer l’homme et à qui le tour de jouer la femme? Et la réponse : les débuts de petits orgasmes, peu importe avec qui. Je suppose que la même chose doit se passer entre les corps de garçons.
 
Les expériences et les explorations de nos tantes, nos cousines et nos proches portaient essentiellement sur le corps et sa nudité en tant que tabou. Elles évitaient de l’exprimer et de le nommer, au point de le couvrir, de donner de nouveaux noms à ses excrétions, ses expulsions, sa procréation et, juste entre nous les femmes, ses fonctions de réception. J’ai entendu un jour une femme âgée dans un atelier de formation dire que lorsqu’elle vivait avec sa grand-mère, son souvenir était que cette vieille femme dormait en gardant un œil ouvert, avec un fusil posé sur son matelas. Le bruit le plus ténu dans la nuit suffisait à ce qu’elle empoigne son arme et vise. C’est là une situation courante en Colombie Pacifique, où certains comportements très néfastes sont normalisés. Des hommes mariés ou célibataires qui aiment bien une jeune femme pénètrent dans sa chambre la nuit – on appelle ça la gateada. Et cela n’est pas sans risque : si les tenant·es de l’autorité dans la famille réalisent ce qu’il se passe, qu’il s’agisse d’un abus ou non, l’homme peut être blessé, voire tué.
 
Cette habitude de faire sa propre loi n’a cependant jamais mis un terme aux gateadas, même encore aujourd’hui. Lors de ce même atelier – comme je le répétais à mes sœurs – d’autres participantes dirent que ni elle ni leur mère ne laisserait leur fille seule avec leur père à l’heure du bain, à moins que les filles ne portent un sous-vêtement. Je me suis alors souvenue de la voix de mon père me disant, lorsque j’avais sept ans, ta mère ne m’a jamais laissé te donner le bain. Après avoir parlé de cela, une autre femme répondit que, au contraire, son père l’a baignée toute nue dans la cour de sa maison d’enfance jusqu’à ses sept ans, puis son frère aîné le fit jusqu’à ses neuf ans. Elle ne sentit jamais quoi que ce soit de bizarre à la manière dont ils la regardaient; pour eux, c’était là simplement une autre tâche consistant à prendre soin de l’enfant la plus gâtée de la maison. Elle se souvient avoir été vue pour ce qu’elle était : une enfant fille, une enfant sœur, qui n’aimait pas l’eau.
 
Les enfances, à nouveau, hier comme aujourd’hui. Nous avons été surprises par cette histoire qui nous a réconfortées. Même moi j’avais vu que les choses étaient différentes ailleurs; le père de ma fille lui a donné son bain dans la baignoire jusqu’à ce qu’elle soit âgée d’environ deux ans. Même avant ses deux ans, il lui donnait de légères tapes sur les fesses, vers le haut, pour les faire grossir, disait-il. Nous pourrions ici parler de dimensions supplémentaires de la manière dont nous construisons nos corps, mais c’est là une tout autre histoire. Pour moi, il s’agissait d’une tâche de soins, parmi les nombreuses autres, que nous avions décidé d’un commun accord de répartir entre nous, avant même la naissance du bébé. Et la décision de ne pas considérer chaque homme comme un violeur en embuscade ne signifie pas que ce ne sont pas des violeurs, mais plutôt qu’ils peuvent arrêter de l’être. Il y a également des hommes et des corps masculins qui ont été élevés à ne jamais être des violeurs.
 
Cela a toujours cours. C’est arrivé à une de nos amies et à ma propre fille. Je me suis dit : comment se fait-il que certaines femmes soient en couple avec des hommes à qui elles ne peuvent pas faire confiance pour prendre soin de leur fille? Je suis sûre que ma mère aimait mon père. Et, bien qu’on ne parle que rarement de la femme qu’elle était avant de devenir ma mère, je sais que ces expériences d’abus ne peuvent être comparées à la brutalité et à la tolérance exagérée envers celles d’aujourd’hui. Mais cela demeure une décision que de nombreuses femmes dans de nombreux lieux prennent, ce qui entraîne d’autres questions. À quelle fréquence, combien de fois, ont eu lieu les cas d’abus dans nos familles élargies pour que les femmes interdisent de manière ouverte, ou de manière imperceptible, à leurs partenaires de donner le bain à leur fille? Est-ce que cela est en lien avec la surexposition médiatique à laquelle nous sommes soumises et soumis dès notre naissance? Qu’est-ce qui délite les liens familiaux et les transforme en simples échanges de satisfaction corporelle? Est-ce que cela tient à la proximité des valeurs urbaines qui portent tant d’attention aux bonnes formes des corps des femmes en tant qu’objets de désir, et poussent les corps masculins à se comporter comme des propriétaires et des conquérants, remplissant la mission de mimétisme des représentations médiatiques pour être rassurés dans leur identité? Est-ce le béton et d’autres codes, comme les bonnes manières de Carreño, qui les font perdurer? Est-ce encouragé par le besoin d’oublier certaines relations comme prix du progrès, cette insistance à « faire pour l’extérieur »? Que se passe-t-il avec ce que nous avons appris à notre époque, celles et ceux qui, en secret ou non, se sont adonné·e·s à des explorations sexuelles en tant qu’enfants? Cela a-t-il été effacé par la culpabilité? S’agissait-il des graines de méfiance et de honte en nous-mêmes? En effet, ne s’agit-il pas là de possibilités d’apprentissage dans lesquelles avoir confiance, comprendre la nudité des corps comme faisant partie du respect de soi-même et des autres? Ces questions émergent dans des espaces de confiance, où la peur de dire ce que l’on pense et ce que l’on ressent est chassée par l’intention de l’accompagnement. J’imagine combien nous sommes, dans tous les coins de cette planète, et je suis certaine que ce ne sont pas de nouvelles questions, que les messages qu’elles contiennent sont répétés, et que l’on se trouve à vivre dans les réponses.

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Continuez à explorer Incarnations transnationales

Cette édition du journal, en partenariat avec Kohl : a Journal for Body and Gender Research (Kohl : une revue pour la recherche sur le corps et le genre) explorera les solutions, propositions et réalités féministes afin de transformer notre monde actuel, nos corps et nos sexualités.

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التجسيدات العابرة للحدود

نصدر النسخة هذه من المجلة بالشراكة مع «كحل: مجلة لأبحاث الجسد والجندر»، وسنستكشف عبرها الحلول والاقتراحات وأنواع الواقع النسوية لتغيير عالمنا الحالي وكذلك أجسادنا وجنسانياتنا.

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Qu’est-ce que le Forum international de l’AWID ?

Lettre d’amour aux mouvements féministes #5

Féministes soudanaises : « une révolution au sein de la révolution »

« J’ai subi des violences sexuelles, des blessures physiques et d’autres formes de violence lorsque je manifestais sur les lignes de front. Mais je ne m’arrêterai jamais, tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas de régime civil au Soudan. Nous devons arrêter la militarisation de l’État. Nos corps ne doivent plus être traités comme des champs de bataille »

déclarait Amal*, une manifestante de 23 ans** 

Les femmes sont à la tête de la révolution au Soudan depuis quatre ans. Leur leadership ne s’est pas limité à la rue : elles étaient la force motrice de la résistance continue à tous les niveaux. Les femmes et les jeunes féministes sont devenues la conscience alerte du mouvement pour le changement et la démocratisation au Soudan. Dès la première manifestation contre l’ancien régime dans la ville d’Aldmazein, dans la région en conflit du Nil Bleu, le 13 décembre 2018, de jeunes écolières sont devenues les porte-voix réclamant la fin de 30 années de dictature militaire et de Frères musulmans.

Love letter to feminist movements from Your dramatically cloaked jungle nymph.

Le mouvement féministe mené par de jeunes femmes âgées de 16 à 35 ans a créé une révolution au sein de la révolution incessante depuis quatre ans au Soudan. Les voix des jeunes femmes qui occupent l’espace dans les rues, sur les réseaux sociaux, au sein de la société civile et des organisations politiques sont suffisamment fortes pour avoir remodelé l’opinion publique et questionné les normes sociales. Les discussions sur les violences sexuelles et basées sur le genre et les tabous de la violence domestique et des processus décisionnels dominés par les hommes sont devenues des débats courants pour la première fois dans l’histoire du Soudan. Les équipes de football féminines, les femmes porte-parole de comités de la résistance et les syndicats professionnels dirigés par des femmes sont quelques-uns des faits saillants de la nouvelle vague du mouvement féministe au Soudan. Des jeunes femmes se définissant fièrement et publiquement comme féministes est le gain le plus important, dans un pays dirigé depuis trois décennies par un islam fondamentaliste. De jeunes hommes soutenant l’activisme féministe et s’identifiant eux-mêmes comme féministes est un autre progrès qu’il convient de souligner.

Ce progrès n’est pas sans coût, tout comme il n’est pas parfait. Les activistes féministes, les groupes et les activistes se retrouvent face aux difficultés typiques rencontrées dans les contextes conservateurs et affectés par des conflits. Mais l’impact du mouvement des jeunes féministes au Soudan mérite d’être encensé. Dépasser les obstacles internes des différences de culture, de religion et des conflits historiques est un défi en soi, que les jeunes féministes au Soudan semblent relever activement. La création d’écoles féministes au Darfour et dans le Kordofan révèle la trajectoire unique du travail des jeunes féministes au Soudan, dont nous pouvons tirer des enseignements.

Il n’est pas possible de nommer les jeunes femmes à la tête de ces efforts et les groupes de femmes actives sur le terrain, du fait des nombreuses préoccupations sécuritaires suite au coup d’État militaire toujours en cours. Mais leur résilience, leur force et leur courage devront figurer dans les livres d’histoire. Ces jeunes femmes audacieuses à la tête de la résistance dans les rues, derrière leurs écrans, dans différentes professions et sur différents terrains d’activisme façonnent l’avenir du Soudan. Les jeunes féministes au Soudan créent de nouveaux espaces pour que des récits et des discours féministes restructurent la distribution du pouvoir, dans ses aspects politiques, économiques et sociaux.

Malgré l’immensité de la violence, la résurgence d’un islam fondamentaliste, la militarisation et la réduction des espaces civiques, les activistes féministes au Soudan restent ancrées dans leurs sororités. Elles demeurent une incroyable source d’inspiration pour les mouvements féministes à travers le monde.

 

Nazik Awad


* Amal est un pseudonyme afin de protéger la jeune activiste citée. 
** Le Soudan vit une révolution constante depuis 2018. Une nouvelle vague a démarré après le coup d’État militaire du 25 octobre 2021. 

Mars 2015: publication de la version zéro du document final

Publication de la version zéro du document final, mars 2015

  • La version zéro du document final (en anglais – datée du 16 mars), préparée par les co-facilitateurs, a été soumise à discussion pendant la seconde session de rédaction qui s’est tenue du 13 au 17 avril 2015.
  • Pendant la session inaugurale, le WWG a insisté sur la nécessité de mentionner, dans la version zéro, les ressources qui seraient spécifiquement consacrées à l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes, comme cela avait été prévu dans le Consensus de Monterrey et la Déclaration de Doha.

Clone of Annonce: Forum AWID 2024

Image avec les mots: annonce: forum awid 2024. L'arrière-plan a une photo pâle du public lors du forum précédent et a un dégradé qui va du violet à gauche au jaune à droite.

Il est temps pour le prochain forum de l’AWID en 2024.

Lorsque des milliers de féministes se réunissent, nous créons une grande force de solidarité qui a le pouvoir de changer le monde. Le Forum de l’AWID sera pour nous un moment de repos et de guérison ensemble, de connexion au-delà des frontières et de découverte de nouvelles orientations stratégiques courageuses.

La date et le lieu seront annoncés l'année prochaine, dès que possible. Nous sommes ravi.es et nous savons que vous le serez aussi. Restez à l'écoute!

Assurez-vous de nous suivre sur les médias sociaux et de vous inscrire à notre liste de diffusion pour rester informé!

Que comprennent les frais d’inscription ?

Les frais d’inscription au Forum de l’AWID pour tou-te-s les participant-e-s couvrent : 

  • Accès complet aux quatre jours du Forum 
  • Déjeuners et pauses café/thé pendant les journées du Forum 
  • Documentation
  • Traduction simultanée lors des sessions plénières et quelques sessions/activités sélectionnées en petits groupes (anglais, français, espagnol et langue locale) 
  • Participation au dîner/à la fête de célébration 
  • Application mobile avec programme final et fonction “chat” intégrée 
  • Service WiFi gratuit dans les locaux du Forum  
  • Accueil à l’aéroport et transport hôtel-site-hôtel. 

 

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Our values - Human Rights

Droits humains

nous croyons en une application complète du principe des droits, y compris ceux établis dans les lois internationales, et affirmons la conviction que tous les droits humains sont indissociables, interdépendants et indivisibles. Nous nous engageons à œuvrer pour l'éradication de toutes les discriminations fondées sur le genre, la sexualité, la religion, l'âge, les capacités, l'ethnicité, la race, la nationalité, la classe sociale ou d'autres facteurs.

FRMag - Editors Note

Note éditoriale

Les Réalités féministes consistent en une invitation chaleureuse et bienveillante, une sorte d’acte de préservation et de soins massifs (versus un soin individuel), une invitation à archiver et à faire l’inventaire de tout le travail réalisé, sous peine de le voir disparaître.     (...)

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FRMag - Between Two Worlds

Entre deux mondes : la double conscience des femmes en Gambie

par Haddy Jatou Gassama

Il est de coutume pour la tribu mandingue, en Gambie, de mesurer la première écharpe utilisée par les mères pour porter leur nourrisson sur leur dos.  (...)

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illustration : « Puta sacrée », par Pia Love >

OURS 2021 - Chapitre 1

Chapitre 1

Promouvoir les programmes féministes : principales avancées en matière de genre et de sexualité

Alors que les fondamentalismes, les fascismes et autres systèmes d’oppression se métamorphosent et trouvent de nouvelles tactiques et stratégies pour consolider leur pouvoir et influence, les mouvements féministes persévèrent et célèbrent leurs victoires nationales, régionales et internationales.

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Snippet Kohl - Plénière: La révolution sera féministe — ou il n’y aura pas de révolution

Plénière: La révolution sera féministe — ou il n’y aura pas de révolution

Avec Manal Tamimi, Bubulina Moreno, Karolina Więckiewicz et Anwulika Ngozi Okonjo..

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